Focus sur les bâtiments sociaux
L'école de la sucrerie
Vue actuelle de l’école restaurée.
Durant la période qui va de la création de la sucrerie jusqu’à la fin du XIX° siècle, on peut voir que les enfants des deux hameaux de Francières sont négligés du point de vue de l’instruction, ne faisant l’objet d’aucune attention particulière. Pourtant, celui de la sucrerie voit sa population progresser constamment, avec une accélération à partir de 1860.
Lors du conseil d’administration du 10 mai 1907, M. Gaston Benoit directeur de la SDF expose :
« que le nombre des enfants du personnel de l’usine est actuellement de 22 et que les parents – pour éviter que tous les enfants aient à faire trois kilomètres, pour se rendre au village de Francières – seraient disposés à donner 0,10 franc par jour, ou trois francs par mois, si cette allocation pouvait aider à créer une école à l’usine même. Une école de ce genre allait être créée à la sucrerie de Froyères. Le local à Francières serait tout préparé dans l’ancienne cantine ».
Le conseil approuve dans son principe cette installation et autorise à étudier la réalisation du projet en limitant à 500 francs par an, la charge qui pourrait en résulter pour la société.
L’acte de naissance officiel de l’école du hameau de la Sucrerie daterait donc de 1907. Notons que les vingt-deux enfants recensés étaient ceux des employés de la fabrique et des fermes, demeurant à l’usine même ou dans les logements ouvriers situés de l’autre côté de la nationale, mais également au hameau de Fresnel.
Cette création, approuvée par l’Inspection Académique en juillet 1907, n’était pas un acte de paternalisme gratuit, mais à inclure dans un système d’aide sociale que le couple Benoît mettra rapidement en place. La vie rendue plus facile pour le personnel, rendait celui-ci plus attaché à l’établissement où la succession se faisait souvent de père en fils.
L’école de Froyères s’est ouverte peu après, comprenant un bâtiment scolaire et un logement d’instituteur neufs, bâtie face à la sucrerie et qui existe toujours malgré la destruction de l’usine. La direction de celle-ci y développant également une action sociale, (coopérative, club de foot, etc.), destinée à fidéliser sa main d’oeuvre.
Aux archives départementales, en date du 28 septembre 1907, figure la demande d’ouverture d’école formulée par Mme veuve Emma Keusch née Bizouard, âgée de quarante-cinq ans « institutrice agréée par Monsieur Benoît, directeur » et adressée au maire du village, Ernest Monnet.
Son intention, « aussitôt après l’approbation de l’autorité supérieure », est d’ouvrir une école mixte privée, à l’usage des enfants habitant l’usine, dans les locaux que la SDF a mis à sa disposition à cet effet, dans l’immeuble situé sur la route de Flandres.
La sucrerie prend en charge le local, son entretien, le chauffage et l’éclairage, le salaire de l’enseignante et ses avantages en nature, dont du sucre et du charbon (moins la petite participation parentale dont on ne connaît pas l’extension).
Les lieux tels qu’ils se présentaient en 2001 avant la rénovation. Logements ouvriers, école, maison de gardien et quelques bâtiments annexes.
Vue prise depuis les étages supérieurs de la distillerie 1930 (cliché J. Hiquebrant)
Le local réservé à l’école se trouve à l’extrémité Nord du bâtiment élevé avant 1859 et situé le long de la Nationale, à gauche de la cour d’honneur. Il est en maçonnerie de briques pleines, toit en ardoise à deux pentes et composé d’un jeu de travées avec arcades en plein cintre (dont il ne reste que huit et demie, la partie sud ayant été modifée lors de l’agrandissement des logements patronaux). Chaque travée, destinée à un logement d’employé, est constituée par un rez-de-chaussée à deux pièces et d’un entresol ou premier étage, divisé en une ou deux pièces. Une cave se trouve en sous-sol.
En 1907, on a réservé pour cette école, les deux travées nord, prolongées en direction de la maison de gardien et séparées de celle-ci par une petite courette et par une avancée du seul rez-de-chaussée.
En arrière : cour ou jardin servant de cour de récréation et de jardinet pour l’enseignante. Celle-ci disposant de l’avancée d’extrémité pour sa cuisine/séjour et de trois pièces au-dessus de la salle de classe.
La salle d’école est constituée par les deux pièces des deux travées réunies. Elle est de forme rectangulaire avec un important décrochement qui correspond à l’emplacement de l’escalier qui conduit à l’étage supérieur depuis une passerelle (aujourd’hui disparue) reliant la classe à la cuisine de l’enseignante et d’un escalier menant à la cave depuis l’extérieur.
Une porte et une fenêtre, côté cour, comme côté rue permettent l’accès de part et d’autre et l’éclairage naturel du local.
L’entrée actuelle de l’école. La partie supérieure du bâtiment renferme le logement de l’institutrice. A gauche, derrière un mur, se trouvent les logements ouvriers.
Remarquez les détails architecturaux, typiques des constructions industrielles du dix-neuvième siècle.
Monsieur l’inspecteur,
J’ai l’honneur de vous faire connaître que j’ai l’intention d’ouvrir une école primaire privée mixte dans la commune de Francières. Cet immeuble, dont ci-joint le plan, (non retrouvé) a servi depuis une vingtaine d’années de salle d’école pour les enfants des employés et des ouvriers de la dite sucrerie.
Pendant les dix ans précédents, j’ai résidé dans les localités ci-après :
Du mois d’octobre 1916 à juillet 1919 à Caen, pensionnat Saint Joseph, 30 rue des Rosiers. J’exerçais la profession d’institutrice adjointe.
Du mois d’octobre 1919 à 1923 à Falaise, Institution Saint Jean, 6 Place de l’Hôpital où j’exerçais en qualité d’adjointe. Du premier juillet 1923 à ce jour, à Compiègne. Pendant cette dernière période, j’ai donné des leçons particulières.
Signé : Audrey Eugénie femme Hermantier, née à Grimbosq le 09 10 1884.
Est-ce dans une période économique difficile, pour économiser le salaire de l’institutrice ou pour une autre raison comme les difficultés de recrutement, que Gaston Benoît propose la transformation de l’école libre en école de statut publique ?
Le 17 juillet 1930, le conseil municipal, présidé par le même Gaston Benoît constate : « que le hameau compte 157 habitants dont 22 en âge scolaire (sans compter le hameau de Fresnel) séparé du village par 2 800 mètres de route dangereuse six mois par an. Qu’il est déjà desservi par une école privée, locaux et matériel existants, offerts par la société de la sucrerie et qu’une demande de création d’école publique mixte est déposée pour le premier octobre ».
Le conseil départemental de l’Oise, le trente juillet, considère qu’il y a grand intérêt à profiter de l’occasion offerte et le ministère de l’Instruction publique et des Beaux Arts approuve cette création le trente septembre 1930.
Le neuf septembre, un bail a été conclu avec la fabrique. Etabli pour douze ans moyennant un loyer annuel de un franc. Les impôts de toute nature seront supportés par la sucrerie, de même que l’entretien, le chauffage et l’éclairage. Seuls l’instituteur ou l’institutrice seront fonctionnnaires d’Etat et salariés par lui.
On retrouvera le huit novembre 1949 la signature d’un nouveau bail aux mêmes conditions.
Ce n’est, par contre, que dans sa séance du neuf mars 1932 que le conseil d’administration de la SDF enregistre et approuve cette transformation et le bail.
La sucrerie cesse ses activités à la fin de la campagne 1968/1969. Madame Benoît continue d’y résider, réglant les problèmes de liquidation et animant la Société Agricole qui prend le relais pour la gestion des cultures et des fermes jusqu’à son décès survenu en mars 1972.
L’école reste ouverte jusqu’en juin 1971 puis les enfants du hameau seront transportés à l’école du village par le « tub », camionnette de la sucrerie assurant le transport du personnel conduit par Mme Michelle Trouard.
Les lieux laissés à l’abandon, vont rapidement se dégrader, être pillés et vandalisés. Le mobilier et le matériel vont disparaître en grande partie.
Au chapitre « Documents Anciens » qui nous permettent de renouer avec le passé prestigieux de l’école de la Sucrerie,
nous sommes heureux d’ajouter la photographie ci-dessus.
Elle représente la cour de l’école où l’on distingue le préau aujourd’hui disparu, l’entrée de la cave et celle du logement de fonction dont le mur s’ornait alors d’un luxuriant rosier.
Le garage de l’institutrice se trouvait entre le logement de fonction et la maison de gardien à double étage. On en distingue l’entrée, dans l’ombre du préau. C’est là que Mlle Garzoni, propriétaire du document, rangeait un véhicule personnel, devenu désormais légendaire : la 2 CV Citroën dite aussi « Deudeuche ».
Vue actuelle avec le reste du préau.
Ci-dessus, ce qu’il restait de la salle de classe en 2001. Cliché Joël Hiquebrant.
Les photographies ci-dessus permettent de se rendre compte de l’état des lieux et du travail à accomplir.
Durant l’été 2004, les travaux commençaient dans le but de reconstituer, au moins en partie, la « classe à l’ancienne » telle qu’elle avait fonctionné dans les années cinquante / soixante.
La restauration est l’oeuvre de Monsieur Bernard Bocquet, peintre retraité de Francières, aidé par son épouse et MM. Hiquebrant et Jean Tubek. La mise hors d’air et hors d’eau ainsi que la sécurisation sont dues à l’entreprise PFM de Jonquières (MM Francis Plat et Sébastien Bousiquier) mandatée par Monsieur Jean Pierre Bricout, directeur de la Société Agricole de Francières.
Quant au matériel, justement, la collecte est allée bon train : cinq tables-bancs, vingt-cinq cartables, des centaines de livres scolaires ou de lecture s’affichèrent au compteur.
Quelques tables supplémentaires sont venus compléter cette première collecte, de même que des vêtements d’écoliers, une bibliothèque et autres accessoires. Plumiers, trousses, nécessaire pour l’écriture, etc. furent aussi au rendez-vous.
Merci aux généreux donateurs, particuliers ou mairies qui ont répondu positivement à nos sollicitations. Tous ces efforts furent couronnés de succès et permirent enfin l’inauguration !
Celle-ci eut lieu le samedi 18 septembre 2005 en compagnie de nombreux invités autour d’un verre de l’amitié. Ce fut l’occasion de féliciter tous ceux qui avaient contribué à la réussite de cette entreprise.
Le lendemain avait lieu l’ouverture au grand public dans le cadre des journées du Patrimoine.
A gauche, d’anciens élèves ont retrouvé leur maîtresse ! Cliché Joël Hiquebrant.
A droite, Madame Desjardins (à gauche) évoque ses souvenirs. Cliché Mme Belmant.
Nombre d’anciens élèves ont pu, à l’occasion de leur visite, renouer avec une partie de leur passé, retrouver d’anciens camarades de classe et leurs institutrices ! On comprend l’émotion qui régnait à l’occasion de ces retrouvailles.
Madame Dina Garzoni, Madame Françoise Desjardins qui ont occupé le poste d’enseignante, avaient fait le déplacement. Madame Yannick Martin, empêchée n’a pu être présente. Toutes trois ont laissé un souvenir fort de leur passage dans cette classe.
A gauche, MM. Neuplanche et Cordier. Cliché Mme Bricout.
A droite, Mlle Garzoni. Cliché Mme Belmant.
A gauche, une famille heureuse. Cliché Neuplanche.
A droite, les commentaires vont bon train. Cliché Joël Hiquebrant.
Le public, venu nombreux et de fort loin parfois, à l’occasion des journées du patrimoine a salué le travail accompli, ce qui est allé droit au coeur de tous ceux qui ont travaillé pour aboutir à cette réalisation. Il a fallu pousser vers la sortie ceux des visiteurs qui tardaient à quitter les lieux, y compris les plus jeunes.
Tout un symbole !
Témoignage écrit de Mademoiselle Garzoni :
« J’ai pris mon poste à la sucrerie de Francières le premier octobre 1957 et j’en suis partie en juillet 1964. Si je compare les différentes écoles où j’ai enseigné, je pense que ce premier poste a été celui que j’ai le plus apprécié. Ayant rédigé une demande de poste, j’ai été étonnée quand l’inspectrice m’a abordée dans la rue pour me dire qu’elle avait pensé à moi pour cette petite école, une « vraie bonbonnière ».
Voici ce qu’était la vie au quotidien de cette école à classe unique. Les enfants habitaient les maisons de la sucrerie ou venaient de la ferme de Fresnel. Un élève habitait près du passage à niveau à Estrées. Il n’y avait pas de ramassage scolaire ni de cantine. Les enfants marchaient.
Quand ils arrivaient le matin, Madame Dumortier avait déjà allumé le gros poêle au milieu de la classe et avait rempli le seau de charbon pour que j’alimente le feu au cours de la journée. Mon logement accolé à l’école donnait dans la cour de récréation et le matin les premiers bavardages avec Madame Dumortier duraient un bon quart d’heure avant l’arrivée des enfants.
Les pupitres étaient très rustiques, je me suis demandé s’ils n’avaient pas été fabriqués à la sucrerie car ils n’avaient rien d’ouvrages faits en série. Ils étaient pouvus d’un plancher (plus chaud aux pieds des enfants que le carrelage) et d’une tablette qui se relevait pour ranger les affaires dans la case.
C’étaient des pupitres pour deux avec un banc. La classe donnant sur le large trottoir où s’arrêtaient souvent les camions, il n’était pas rare, les jours de grand brouillard, de voir des automobilistes un peu perdus, venir frapper à la porte pour demander leur chemin. Ils avaient été attirés par la grande baie vitrée et la lumière de la salle de classe.
Une manifestation réunissait les enfants de Francières-sucrerie et Francières-village, la cérémonie du onze novembre au monument aux morts de Francières. On apprenait un poème de circonstance à réciter ce jour-là. Je ne sais plus qui le récitait, un élève ou toute la classe…
Les cours commençaient à neuf heures et quatorze heures, ils s’interrompaient à douze heures et dix-sept heures. Vers dix-huit heures je retrouvais mes élèves allant chercher le lait avec leur boite. Une fille de Madame Benoit servait le lait de la ferme et on faisait la queue.
En automne on pouvait prendre des pommes tombées, mises là, dans une lessiveuse, à la disposition des amateurs. Je me souviens de nombreux élèves, ils restent dans mon souvenir, associés à cette petite classe unique où j’ai fait mon apprentissage et dont je me souviens avec une certaine tendresse ».
Témoignage de Madame Yannick Martin (02 mars 2004) :
Madame Martin déclare avoir exercé à l’école de la sucrerie de Francières de 1965 à 1970. Elle avait occupé un premier poste à Boulogne-la-Grasse, mais ceci très peu de temps, une institutrice titulaire (ce qu’elle n’était pas encore) ayant demandé et obtenu ce poste.
Après 1970, elle exercera à Granvilliers aux bois puis à Rouvillers jusqu’en 1998 date de son départ en retraite.
Une de ses amies ayant battu le rappel de tous ses anciens élèves, c’est près de 500 personnes qui se sont retrouvées sous un chapiteau pour lui rendre hommage. Ce qui fut un des moments les plus émouvants de sa vie.
Elle dit que rien ne la préparait à mener cette vie d’institutrice campagnarde, elle qui avait toujours vécu en ville et au Maroc mais que sa capacité d’adaptation avait rendu la chose possible.
Elle n’a que peu de souvenirs concernant sa vie à Francières, aucun événement particulièrement marquant n’étant venu émailler la vie « normale » d’une classe de ce genre dans ces années là. Hormis peut être des conditions matérielles peu favorables (petitesse des locaux, de la cour de récréation, etc.).
Elle dit que ce type de classe unique présentait l’avantage (à l’époque) de mieux préparer les enfants à leur future vie sociale en faisant se cotoyer des enfants d’âges différents, les grands aidant les petits.
Comme je lui rappelais que la grande proximité avec une usine aussi importante et active devait entraîner quelques inconvénients, elle a convenu que le bruit, plus encore que les odeurs engendrés par l’activité de la sucrerie était gênant. Elle dit avoir fait classe à une vingtaine d’élèves sans que cet effectif n’est sensiblement bougé au fil du temps.
Madame Martin se souvient également avoir effectué deux « sorties », une pour visiter l’usine et ce sur la recommandation de Monsieur Heidrijk, ingénieur maison qui croyait utile et pédagogique de faire découvrir aux enfants le travail effectué par leurs parents dans le cadre même où ils exerçaient. Il n’avait pas hésité lui-même à placer ses propres enfants à l’école de la sucrerie avec les élèves des ouvriers.
Concernant les rapports avec la religion, elle me dit n’avoir pas souvenir qu’il y ait eu la moindre interférence ; la chapelle ne «fonctionnait » plus de son temps et aucun prêtre ne fréquentait l’usine.
Elle dit avoir été impressionnée à l’époque par la personnalité de Madame Benoit, déjà impotente mais qui « en imposait » manifestement. Cette dernière, se sentait concernée par le fonctionnement de la classe, qu’elle considérait – malgré son statut d’école publique – comme partie intégrante de l’usine et plus ou moins sous son autorité.
A plusieurs occasions, Madame Martin fut convoquée dans le bureau de Madame Benoit pour s’entendre expliquer ce qui convenait le mieux pour l’école.
Concernant le logement (et la classe) elle dit que le poêle à charbon fonctionnait encore mais ne se souvient plus qui en assurait le fonctionnement et l’entretien (peut-être la même personne qui était chargée du ménage ?). Par contre un chauffage au fuel complétait le dispositif, voire un chauffage électrique d’appoint.
La classe ne communiquait plus avec la cuisine. Il fallait sortir pour passer de l’une à l’autre.
Après la fermeture de la classe, les lieux sont restés en l’état, il n’y a pas eu de déménagement, de récupération de matériel ou de transfert. Passant quelques temps après par là, Madame Martin a constaté que les actes de vandalisme avaient commencé, vitres brisées, portes forcées et peu à peu tout le matériel de la classe a disparu ou a été brisé, jeté au sol, etc.
Témoignages recueillis auprès d’anciens élèves :
« L’ambiance dans cette école était très bonne, la maîtresse s’occupait de tous les cours, du C.P. au certificat d’études.
On avait des punitions mais des récompenses aussi. La maîtresse était sévère mais on la respectait et on l’aimait bien (Madame Desjardins). Le certificat d’études se déroulait à Estrées-Saint-Denis, il y avait une épreuve sportive et l’écrit un autre jour.
Celà se passait à 14 ans, classe CM 2. Nous faisions de la gymnastique dans la cour de l’école. Sous le préau, il y avait une corde lisse.
Le théâtre avait lieu tous les ans, sous les ordres de Madame Benoît, après répétition dans sa salle à manger. Un spectacle avait lieu dans un des bâtiments de l’usine, avec des costumes confectionnés spécialement pour la circonstance. »
Représentation théâtrale en 1942 : « Mon moulin fait tic-tac ». Collection Jean Pierre Bricout
« En récompense, Madame Benoît nous emmenait au théâtre du Châtelet à Paris. Nous avions récréation le matin et l’après midi dans la cour de l’école. Madame tapait dans ses mains pour que nous rentrions en classe. Nous jouions au foulard ou à la balle au prisonnier.
Nous avons aussi effectué des sorties : voyage à la mer à Dieppe, en camion avec tous les ouvriers et leurs familles. J’ai aussi participé aux colonies de vacances pendant quatre ans, d’abord à Rosporden, à Saint-Pierre de Quiberon et enfin à Chapoix dans le Jura, deux fois.
Quant aux activités religieuses, nous avions le cathéchisme avec Mme Benoît ou Madame Françoise, la messe à la chapelle tous les mardis matin avec l’abbé Le Pévédic, les processions avec les bannières, les filles habillées de blanc et jetant des pétales de roses aux reposoirs.
J’ai le souvenir que nous avions beaucoup de respect pour la maîtresse, ce qui n’est plus le cas maintenant ». J. L.
La chapelle de la sucrerie
Vue actuelle de la chapelle restaurée.
Les bénévoles de l’Association pour la Sauvegarde de la Sucrerie de Francières, après avoir reconstitué la salle de classe, ont procédé de 2006 à 2009 à la restauration de la chapelle.
Ces deux lieux sont significatifs de la vie en collectivité dans nos petites sucreries de campagne avec une étroite imbrication entre le travail industriel et la vie sociale.
Cette chapelle est située sur la cour d’honneur, à gauche de la cheminée, au cœur du bâtiment de fabrication entre l’ancien bureau du directeur M. Benoit et le local des turbines. Elle a remplacé un ancien bureau de comptable.
Elle a été édifiée à la phase de la guerre 14-18,une chapelle provisoire ayant existé durant celle-ci en raison des nombreux soldats installés à la sucrerie, sans parler des blessés et des malades. Des aumôniers militaires de passage y célébraient les offices.
C’est Mme Benoît qui en a eu l’initiative. C’était pour elle un oratoire privé où elle allait se recueillir tous les soirs mais destinée aux habitants du hameau, éloignés de 3 km de l’église du village.
Mais elle se rattache très clairement à la tradition du catholicisme social, avec un paternalisme fort : le patron prend en charge les aspects de la vie privée des ouvriers sur un plan économique, sur celui des loisirs, de l’encadrement des enfants avec l’école et les colonies de vacances- mais aussi sur un plan religieux.
Harmonium venant d’Orvilliers-Sorel.
Elle a été consacrée sous le nom de l’Immaculée Conception et peinte en bleu marial. Les curés Paul Villette et François-Marie Le Pevedic de Francières puis le curé de Gournay sur Aronde, Ronvel, s’y sont succédés jusqu’au décès de ce dernier en 1964. Il semble qu’il n’y eut plus de messe après cette date, sauf quelques-unes par l’abbé Froment d’Estrées.
Cette messe était célébrée tous les mardis matin, « messe basse », sans prône.
A noter que le bruit des turbines situées derrière, perturbait la cérémonie et après 1945 l’audition de l’harmonium nouvellement installé, durant la campagne sucrière.
Jusqu’à la fermeture de l’école en 1971, Mme Benoît puis sa fille Mme Valette, enseignaient le catéchisme dans la chapelle et à 18 heures avait lieu « le salut ».
A part cette messe hebdomadaire, quelques messes de minuit, voire une seule, ont eu lieu à Noël pendant la guerre. A l’époque, en raison du couvre-feu, celles-ci étaient interdites en zone occupée.
Des bâches masquaient la façade vitrée. La chapelle étant trop petite, l’assistance venue de l’usine et du hameau attendait dans la nuit à l’extérieur et l’abbé Le Pevedic sortait lui présenter l’ostensoir. Ces nuits-là, il y eut un sermon. La crèche était installée au fond à gauche du cœur.
Il n’y eut jamais de célébrations de mariage, baptême, enterrement ni de communion solennelle. Celles-ci étaient célébrées à l’église du village.
Par contre avaient lieu sur place pour les enfants du catéchisme, la première communion privée.
Vestiges de la chapelle. 2001.
L’autel tel qu’il se présentait en 1993. Collection J.P. Bricout
En janvier 1969, l’activité industrielle cessa, l’école ferma en 1971, Mme Benoît décéda en 1972. La chapelle cessa d’être consacrée, son mobilier et les objets cultuels ont disparu.
A côté du patrimoine architectural, de l’histoire sociale et industrielle, c’est aussi pour garder en mémoire ce lieu de vie partagée et quasi familial, qui fut aussi un lieu de prière, cet état d’esprit d’entraide et de solidarité de la sucrerie que le propriétaire et l’association ont décidé de la restaurer.
Ce sont là pour beaucoup d’anciens, leurs racines.
Pour cette entreprise, la société agricole propriétaire a procédé à la réfection totale du plafond et du sol et fourni les matériaux aux bénévoles dirigés par M. Besson : façade, grilles, isolation, murs, peinture, électricité, boiseries…
Pour sa reconstitution intérieure, le président a fait appel au souvenir des anciens, aux traces laissées sur les murs par les emplacements des tablettes, tableaux, lampes. Seul l’autel délabré avait survécu.
Il a fallu là aussi trois années pour retrouver les six statues « St Sulpice », un chemin de croix « fabriqué » à partir de celui de l’église d’Hémévillers, harmonium, bannières, objets de culte, sièges, par achats en brocante, dons divers, internet etc.
A noter que les deux statues du chœur, la Vierge et Saint-Joseph, sont un dépôt du musée Vivenel de Compiègne ;
Avant 1940, la nef était occupée par des bancs avec agenouilloir.
Après 1940, par des chaises.
A gauche, vue de l’Autel restauré. A droite, vue en direction de la sortie.
En dehors de cette chapelle, des cérémonies religieuses réunissaient population et direction. Un autel sous un dais était installé au pied de la cheminée.
La Vierge de Boulogne y fit une station en 1947. Une messe avait lieu en début de campagne. Une autre lors des communions privées.
Parmi les processions, citons celles de la Fête-Dieu.
Avant la guerre, on installait cinq reposoirs : le premier, dans la cour du petit jardin patronal près de la rue ; le deuxième auprès de la cheminée ; le troisième en face des logements Sud, de l’autre côté de la rue ; le quatrième dans les maisons du Nord ; le cinquième derrière la bouverie, réservé aux saisonniers polonais.
Après 1940, les reposoirs étaient tous dressés dans la cour de l’usine coté Est.
Le rituel des enfants de chœur
Deux enfants de chœur, les ancêtres des « servants d’autel », avec leur robe rouge, leur surplis blanc bordé de dentelle et leur calotte rouge, étaient nommés par Mme Benoît et le curé.
La messe matinale se terminait en principe avant l’heure d’ouverture de la classe mais l’inspection d’Académie demandait à l’institutrice d’être tolérante envers le retard des élèves-enfants de chœur.
Ceux-ci allumaient les six cierges de l’autel et les cierges posés sur les tablettes des six statues de la nef. Puis ils attendaient, assis sur les chaises à l’entrée de la nef à gauche, l’arrivée du curé qui se préparait dans le logement patronal.
L’institutrice assistait par politesse ou par déférence, à la première messe d’octobre.
Au fil des générations, étaient donc nommés le premier enfant de chœur, celui qui prenait place à gauche de l’autel, du côté de l’Évangile, devant la statue de la Vierge. Le deuxième été placé à droite durant la célébration, face à l’autre statue, celle de Saint-Joseph.
Au départ du premier, le deuxième prenait sa place et était lui-même remplacé par un nouveau. Durant la période 1940-45, le « chef » recevait une pièce de deux francs et son second, un franc. Nous ignorons les tarifs des autres périodes !
A la fin de l’Office, après le départ du prêtre, ils éteignaient les 12 cierges avec un éteignoir à long manche et après s’être dévêtus dans une armoire à l’entrée du chœur à droite, ils se rendait dans le logis patronal pour un copieux petit déjeuner, café au lait ou chocolat, tartines et viennoiseries, dans l’office, servi par les domestiques patronaux.
Puis ils arrivaient en retard à l’école….
Les maisons ouvrières
Maison de gardien du côté de l’usine, au nord.
Si, en 1829, la réglementation de l’époque a obligé la construction de l’usine à 3 km du village ( mais en ignorant le hameau de Fresnel !), il a bien fallu à la fabrique loger sur place les dirigeants et le personnel qualifié dont la présence était
nécessaire en cas de réparations d’urgence.
C’est ainsi qu’est né progressivement le hameau de la sucrerie sur la route royale numéro 17.
Par ailleurs, toute entreprise avait besoin de fixer sur place son personnel en l’hébergeant, alors que n’existaient pas encore les transports en commun et les moyens de locomotion individuelle…à part les pieds.
Progressivement s’est donc constitué ce hameau, comprenant à la fin 175 habitants. Il est inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques comme l’ensemble de l’usine.
Mais en dehors de ce hameau, la sucrerie a acquis dans le temps des maisons dans les villages proches, sans oublier Fresnel et la ferme de Francières.
En 1955, le Conseil d’administration notait qu’il disposait d’une centaine de logements, tant pour le personnel agricole que pour le personnel de l’usine.
( il n’est question ici que de l’hébergement du personnel permanent, le personnel saisonnier en cours de campagne étant logé dans diverses parties successives de l’usine).
Les plus anciennes de ces habitations ont été élevées à l’est de la route, en périphérie de l’usine.
Plusieurs, citées dans les actes notariés, ont disparu dans le temps, vers l’orangerie à l’est et plus au nord.
Les maisons ouvrières du sud du hameau.
Actuellement sont toujours visibles les constructions édifiées par Crespel-Dellisse au milieu du XIXe siècle. En 1829-1833, n’existait que le logement du directeur au nord de la halle de fabrication et deux logement d’ouvriers au-dessus de celle-ci. Et bien sûr les deux conciergeries de 1829 qui, malgré leur exiguïté, ont servi de logement jusqu’à la fermeture de 1969.
Crespel a donc réalisé l’ensemble situé le long de la route au nord de l’usine, avec sa longue façade rythmée d’arcatures, comprenant 10 logements avec caves, rez-de-chaussée et entresol, et jardinet à l’arrière.
Au début du XXe siècle, les deux logements du nord ont été transformés en cantine puis en école, et un logement et demi du sud sacrifié pour agrandir le logement patronal.
Il existe enfin de ce côté de la route, deux maisons aux extrémités nord et sud. Elles doivent dater du début du XXe siècle.
Celle du Nord ne semble pas correspondre aux actes du XIXe siècle.
Elles comprennent au Nord deux logements et trois dans celle du Sud.
Quelques maisons ouvrières du nord du hameau.
Une série de bâtiments s’élève de l’autre côté de la route.
Au sud, face à la distillerie 1880, cinq maisons ont été construites grâce aux dommages de guerre. Les quatre premières sont des maisons jumelées doubles, datant de 1923. La plus au nord est une maison simple bâtie en 1924-1925.
En remontant vers le nord, en face de l’école actuelle, le bâtiment le plus ancien est un ancien cabaret existant avant la création de la sucrerie et racheté en 1891 par Druelle pour y loger un mécanicien.
Contiguë, une maison double, ancienne, dont on ne connaît pas la date de création, fin XIX°-début XX° d’après son style.
Enfin, un peu plus loin, un pavillon jumelé puis un grand pavillon simple, datant de 1957.
M2 : Logement Sud, à gauche. Date de 1846. Divisée en trois logements. Couverte en tuile.
Détail des maisons jumelées situées de l’autre côté de la route nationale.
D’autres maisons ouvrières appartenant à la sucrerie sont présentes dans les villages alentours, notamment Francières.
M 3 : ces quatre maisons jumelées datent de 1923. Situées au sud, elle sont élevées en maçonnerie enduite, composées d’un rez de chaussée avec étage sans comble. Clichés J. Hiquebrant. Année 2003
M 4 : en prolongement nord. De 1924. Même construction mais avec sous-sol – photos 2003. Ref. 78 sur le plan ci-dessus.
Les autres constructions sur ce plan ont été rasées.
M 5 : maison ouvrière jumelée en briques pleines peintes avec rdc et étage sans comble de 1924.
Elle date du début du XIX° siècle et semble être le cabaret existant en 1829, lors de la création de l’usine. Deux vues.
M 6 : à gauche, maisons jumelées datant d’avant 1829.
M 7 : à droite, maisons ouvrières jumelées de 1914.
M 8 : pavillon datant de 1950 en maçonnerie enduite. Il est composé d’un rez de chaussée, sur sous-sol, avec deux étages.
Logement du chimiste puis de Monsieur Bricout, gendre des Valette.
Un hangar à l’arrière, abritait, entre 1960 et 1964, l’avion personnel de M. Bricout.
(En 1934, un meeting aérien, regroupant 25 appareils, fut organisé par M. Benoit, sur les terrains situés derrière ces habitations.
En plus des maisons encore existantes, il semble que d’autres aient disparu aux alentours de la dernière guerre.
Nous en avons identifié une « M 9 » au sud de « M 5 ». (Cliché ci-dessus).
Par ailleurs, sur une parcelle en face de la cour d’honneur, existait un bâtiment abritant l’antique auto-pompe.
Le bâtiment a disparu vers 1980. Il a aussi abrité l’âne de la charrette de Madame Benoit et, voisin, un portique servant aux écoles.
A l’arrière des maisons nord, se trouvaient les jardins ouvriers allant jusqu’au bunker.
La maison patronale
Pavillons d’accueil et logement patronal en 1908.
Si on ne sait précisément où demeurait le directeur de la fabrique à l’origine, on sait par contre que dans la période Crespel (1833-1859), le logement patronal se trouvait dans le prolongement nord de la halle d’origine. Cette extension à deux étages, dans le même style que la halle de fabrication, (en gros à partir de la chapelle), s’est effondrée en 2007.
Elle comprenait habitation du maître et bureaux.
Dans cette même période, Crespel a bâti les deux ailes bordant la cour d’honneur, se prolongeant jusqu’à la route.
L’aile nord abritait écuries, buanderie et déjà en 1859, un bureau et une cuisine.
Vers 1890, l’habitation patronale a occupé progressivement ce retour d’équerre, fusionnant avec le précédent et comprenant plusieurs logements.
Jusque 1930, un porche central permettait d’accéder aux bâtiments plus au nord.
Vue depuis la cour d’honneur. (Après 1959). Collection Jean Pierre Bricout.
( On remarque encore les arcades des bâtiments agricoles précédents, ouvertures rebouchées pour créer des fenêtres)
Le bâtiment de l’aile nord de la cour centrale, ou nouvelle maison patronale a été déménagé et installé, soit à la fin du XIX° siècle soit au début du XX° siècle (la matrice cadastrale mentionne en 1891 et 1903 sur ces parcelles des modifications, agrandissement ou changement de destination).
La transformation de ce bâtiment en maison destinée au patron de l’usine, d’abord autour de 1900 et une deuxième fois vers les années 1930, n’a pas beaucoup affecté les murs d’origine
Vue aérienne (détail). Collection Jean Pierre Bricout.
Vers 1930, les appartements occupés, l’un par Monsieur Valette et sa femme et l’autre par la famille Benoit, seront embellis par des décors en staff, une véranda et un perron couvert soutenu par des colonnes ainsi que deux avancées en forme de bow-window au premier étage, une rotonde à l’arrière, venus enrichir la façade sud. Cette rotonde donnait sur un vestibule à éclairage zénithal. Décors de staff et vitres décorées sont un remarquable exemple du « modern’ style » qui a marqué cette époque.
Tout le bâtiment est crépi et la partie nord de la cour d’honneur est alors aménagée en jardin d’agrément délimité par une petite palissade en bois . Le bâtiment se prolongeant au nord sera refait sur deux travées en plein cintre.
Vue aérienne du parc-jardin.
A l’est de l’usine, en arrière de l’orangerie, se trouve un vaste jardin d’agrément privé, de 7000 m2, arboré.
L’aménagement du jardin patronal, avec rocailles, bassins et cours d’eau, kiosque, tonnelles et allées, ainsi que la serre, date vraisemblablement du début du XX° siècle (sans doute en même temps que l’aménagement de la maison patronale).
M. Gaston Benoit a été à l’origine de la transformation du bâtiment « à l’usage de bergerie, avec grenier carrelé au-dessus », en orangerie.
L'abri anti-aérien
Accès extérieur de la première entrée (masquée en temps normal)
Face à la sucrerie, à l’ouest et à 500 mètres environ au delà de la cité ouvrière, existe toujours un « bunker » souterrain et bétonné, doté de deux accès.
Construit en 1938, à la place d’un stade que Monsieur Benoit avait prévu pour les enfants, ce dernier préféra, avec l’accord de l’ensemble du personnel et devant les menaces de guerre, consacrer l’argent à cet abri. Aux normes de la Défense Nationale, avec portes blindées, l’aération était assurée par un ventilateur actionné à la main et on y disposait de réserves d’eau et de nourriture.
Deux autres abris, plus sommaires, ont été créés aux deux extrémités du hameau, mais ont disparu après la guerre.
La capacité d’accueil permettait à la totalité des habitants du hameau et au personnel de l’usine de s’y abriter.
Vue du bunker depuis la première entrée.
Le bunker. On remarque la deuxième entrée au fond.
Le bunker vu depuis la deuxième entrée.
Cet abri est actuellement condamné pour des raisons de sécurité. Lorsque l’espace de visite sera organisé, à l’extérieur du site de la sucrerie proprement dite, il se retrouvera en bordure d’une aire de stationnement publique. Il est prévu de le réhabiliter à titre informatif.
A noter également, la piste cyclable longeant la RD 1017, sur son bas-côté Ouest. C’est aussi une création de l’entreprise.