La vie sociale à la Sucrerie
Une cité dans la cité - Quelques images
Le personnel de la sucrerie
Estrées-Saint-Denis – Fabrique de Francières Ed. Moreaux – Collection Jean Pierre Bricout
– En 1830, outre le chauffeur, on ne trouve que Louis Vinchon (né en 1785) « commis fabricant de sucre qui dirige l’usine et qui y demeure dans une maison couverte en ardoise, avec son épouse et ses trois enfants. (Sans doute la maison de gardien située au nord).
Louis Graves, dans son précis statistique signale que l’usine a employé – durant les périodes de campagne 1829/1832 – quarante personnes de Francières et des villages environnants et que pour la culture de la bette rave dans les environs, on a fait venir des ouvriers d’Artois et de Belgique.
– En 1856, outre le personnel de direction et administratif, étaient logés avec leurs familles 10 salariés permanents.
– En 1861, le directeur, le comptable, le chef de service et son commis et deux contremaîtres, 16 ouvriers occupant les fonctions de charpentier, charron, jardinier, cantinier, bouvier, chauffeur, serrurier, chaudronnier et manouvrier soit cinquante personnes avec leurs familles. Tous étaient logés dans les bâtiments de l’usine à l’est de la nationale.
– En 1834, on compte 40 hommes, vingt femmes et 20 enfants. En 1872, ils seront 25 puis 28 en 1875, 40 en 1881.
– En 1879, 234 personnes étaient employées en pleine saison dont 200 hommes, 20 femmes, 12 garçons et 02 filles de 12 à 16 ans. De logés et fixes : 40 en 1881, 29 en 1886, 19 en 1891, 31 en 1896, 50 en 1901, 42 en 1906.
– Les qualifications du personnel se diversifient : Cuiseurs, basculiers, gaziers, tareurs, puis après la création d’un poste de chimiste, un ingénieur civil et un chef comptable.
– 1901 : 50 1906 : 42 1919 : 69 dont 23 agricoles 1926 : on rajoute un contremaître et un employé chargés de la branche industrielle (Moyvillers ?)
– 1930 : 157 habitants au hameau
– 1933 : 168 salariés dont 92 permanents (52 industriels usine – 40 service agricole) et 76 saisonniers
– 1941 : 282 salariés dont 270 ouvriers et 12 employés hors campagne et plus de 500 pendant la campagne 1955 : 190 salariés dont 104 permanents (65 industriels – 39 agricoles) et 86 saisonniers.
E.D. Francières – Sucrerie – La sortie des ouvriers. Coll. J.P. Bricout
Les campagnes betteravières étaient pénibles physiquement pour beaucoup de salariés.
Afin de leur rendre hommage, énumérons quelques-uns des postes tenus par des travailleurs de force :
– Arracheurs de betteraves avec une fourche à deux dents.
– Décolleteurs, séparant les feuilles de la racine avec une serpe.
– Chargeurs de betteraves avec une grande fourche dans les tombereaux et plus tard, dans les wagonnets de plaine.
– Alimentateurs attaquant, à la lance hydraulique, le stock de betteraves dans la cour de la sucrerie.
– Dépanneurs des aériens quand les câbles se rompaient à cause du gel et que les bennes déraillaient.
– Manutentionnaires, par tous les temps (pluie, vent, gel, neige).
– Chaufourniers, oeuvrant dans la poussière de chaux pulvérulente.
– Chargeurs et pousseurs de wagonnets Decauville, pour la pierre à chaux, le coke, le charbon, le mâchefer.
– Surveillants des bassins de décantation : rupture des conduits d’eau boueuse ou de digues.
– Débâtisseurs de filtres-presses, à la main ; et des filtres à poche.
– Hommes d’entretien des faisceaux de réchauffement et évaporation.
– Turbineurs à sucre avec leur palette, éreintés par leurs geste répétitifs.
– Hommes chargés du tamisage du sucre enveloppés de poussière.
– Coltineurs manipulant sans arrêt les sacs jute de 100 kg avec constitution de pile de sacs à l’entrepôt, jusqu’à une hauteur de cinq mètres, à la main, confrontés au risque (mortel) d’éboulement.
– Et autre main d’oeuvre, plus discrète, mais qui connaissait des « coups durs » (mécaniciens, chaudronniers, etc.)
Le personnel assemblé dans la cour intérieure. Collection Joël Hiquebrant
Les directeurs de Francières
Ces quelques renseignements proviennent de recensements de population.
– Sous Thirial de 1829 à 1832 :
1831 : Resident responsable, Louis Vinchon
1836 : Joseph-André Frey
– Sous Crespel-Dellisse de 1833 1859, on trouve :
1841 : Jules Barthomier
1846 : Jean-Baptiste Guffroy
1851 : Jean-Baptiste Guffroy
1856 : Jean-françois Leyvraz, directeur et associé de Crespel depuis 1854
– Sous Bachoux de 1859 à 1884 :
1860 : la sucrerie est appellée « sucrerie Dermigny et C° » ( « Statistiques industrielles, Fabrique de sucre de Francières, ADO MP 3746), seule indication. Le directeur ?
1861 : Jules Cusenier
1866 : Charles-François Gallois
ensuite ce seront Prudent Druelle, Gaston Benoit avec l’intérim de son épouse en 14 18, Jean Valette puis Mme Benoit.
Autres personnalités
Monsieur BAUDRY, chimiste en 1895
Monsieur BEAUFILS, chimiste en 1899
Monsieur Edmond BEAUFILS, chimiste en 1930, 1939
Monsieur Jean BEAUFILS, contremaître, poste le plus élevé parmi les cadres, DCD en 1959
Monsieur James FOURNIER, chimiste en 1956 et responsable de la fabrication (1959 – 1954 ?)
Monsieur Pierre LERIOT, chimiste en 1964
Monsieur DELPEUCH, président en 1930
Personnel de la sucrerie de Francières – Début XX° siècle. Collection Sampic.
Ces informations furent glanées dans les registres d’état civil conservées aux ADO.
Charles Théophile COZETTE 35 ans, ouvrier d’usine (cuiseur) à l’usine de Francières et Cécile Célina LEFEVRE déclarent la naissance le 17 avril 1895 de Rose Jeanne Marguerite.
BACHELAND Auguste, manouvrier originaire de Belgique (Vlaeslon ?) est DCD le 08 mars 1895 à la ferme de Fresnel.
DOFFEMONT Marcel Louis Edmond 29 ans, charron à la sucrerie de Francières et THUILLIER Eugénie Lucie 26 ans, sans profession demeurant à la sucrerie de Francières déclarent la naissance le 20 novembre 1894 de Marcel Louis Edmond (DCD le 15 10 1979 à l’Isle Adam).
MACHUELLE Edouard Julien surveillant d’usine 34 ans et TOPART Marie Angelina déclarent la naissance de Victorice Vincent et Louis Victor le 20 07 1894.
DRODE Etienne cocher 27 ans, demeurant à la sucrerie de Francières et VILTARD Jeanne Marie concierge, 21 ans déclarent la naissance d’Albert Ernest né le 05 01 1894.
1891 : ROUX Lazare Jean Etienne Paul chimiste de 29 ans domicilié à Francières (sans précision) déclare la naissance de Pierre Jules Prudent né le 07avril à 2 heures ½ du soir. La mère Jeanne Marie Louise DRUELLE sans profession demeurant à Francières. Déclaration faite en présence de DRUELLE Louis 23 ans, chimiste demeurant à Francières et Edmond MANIERE 32 ans, médecin à Estrées Saint Denis, l’un étant le frère et l’autre un témoin.
17 octobre 1890, sont comparus ROCHET Clément 32 ans chauffeur domicilié à Courcelles, province du Hainaut en Belgique actuellement à Francières et CORNIBUS Léon basculeur 27 ans demeurant à Francières l’un frère et l’autre non parent du DCD déclarent le décès de Jean- Baptiste Ghislain ROCHET chauffeur, 43 ans né à Souvret province du Hainaut en Belgique le 28 octobre 1847 fils de défunt Henri ROCHET et Stéphanie Désirée et époux de LERMOYEUX Marie Julienne dite Claire.
Le 28 juillet 1890, sont comparus ROUX Lazare Jean Etienne Paul chimiste âgé de 28 ans, demeurant à la fabrique de Francières né à Toucy dans l’Yonne le 01 01 1862, fils de ROUX Jean Jules DCD à Toucy le 24 12 1873 et HOUZELOT Julie Françoise Eléonie, sans profession, 54 ans, domiciliée au dit Toucy et DRUELLE Jeanne Marie Louise sans profession 22 ans, née à Remigny dans l’Aisne le 08 septembre 1867 fille de DRUELLE Prudent Alphonse, fabricant de sucre âgé de 55 ans et de LEROY Adeline Célina sans profession, 51 ans demeurant à Francières, en présence de LEROY Sailly Félix Ferdinand rentier à Remigny 72 ans grand père de l’épouse, DRUELLE Jean Baptiste Aimé Frédéric, rentier à Séraucourt dans l’Aisne 64 ans, oncle de l’épouse. MARJOUX Charles Joseph Marie, négociant à Toucy dans l’Yonne 34 ans, beau-frère de l’époux, ROUX Jean Victor Charles négociant à Château Renard dans le Loiret 30 ans cousin germain de l’époux.
1899 : Louis Noël Napoléon PELLERIN 46 ans aide comptable et Jean Baptiste TREZEL 70 ans surveillant d’usine. Philippe RICHARD 40 ans aide comptable. Jules Léon PIOCHE contremaitre de sucrerie 34 ans épouse Emilienne Léontine DERMONT 30 ans sans profession. DRUELLE Maurice chimiste 23 ans (1889). PIDOUX Victor, instituteur à la retraite Brachy (59) fils de BACLEZ Joséphine et PIDOUX Napoléon DCD à Fruges (62).
05 avril 1888 : Sont comparus MAHIEUX Fernand Prosper Virgile 34 ans, directeur de sucrerie résidant depuis moins de six mois à Noyon, de droit à Fluquieres (Aisne) né à Origny Sainte Benoite et PIDOUX Aline Joséphine 18 ans sans profession née à Villers Plouich canton de Marcoing (Nord) le 30 07 1869 fille de PIDOUX Victor Napoléon instituteur retraité âgé de 49 ans et de BOIS Florine Renelde sans profession 45 ans tous trois domiciliés à Francières en présence de Prudent DRUELLE 53 ans, fabricant de sucre et ami du père de l’épouse et de PIDOUX Jules, 45 ans comptable demeurant à Francières oncle de l’épouse. 3E 254/8.
Plus actes de naissance de ROCHET Julien Désiré le 27 01 1888 et Jean François le 14 10 1885, enfants de
ROCHET Jean Baptiste et de LERMOYEUX Marie Claire Julienne.
Accidents du travail :
Très peu apparaissent dans les rapports du conseil d’administration.
– Rappelons celui du 31 octobre 1862, survenu avant la création de la SDF : la mort de Joseph Dessain, âgé de 14 ans et étranglé par ses vêtements, sans doute pris dans une courroie.
– Le 15 novembre 1902, un surveillant de culture a deux doigts de la main droite pris dans une machine à battre. La compagnie d’assurances lui offre 2000 francs qu’il refuse et en réclame 6000. Il touchera au final 3 300 francs.
– Dans le livre rédigé par Madame Benoît, on apprend que le 2 décembre 1915, un soldat au repos à l’arrière, Paul Rohart, dont la famille était en zone envahie et qui participait volontairement au travail de la sucrerie, est mort écrasé entre deux wagons.
– Quant au gros accident par explosion de décembre 1928, entraînant la mort du contremaître Guerre et plusieurs blessés, le C.A. du 12 décembre 1928 ne précise pas les circonstances et présente ses condoléances à la famille.
C’est aux Archives Départementales et dans les rapports des inspecteurs du travail qu’on trouve de nombreuses pages impliquant la responsabilité de la SDF et de l’un des blessés. La SDF s’en tirera bien.
Incidents divers :
– Moniteur de l’Oise du 28 février 1858 : « un enfant de trois ans et demi, fils du sieur Hottin Jean Baptiste, employé à la fabrique de sucre de Francières, fait une chute et expire une heure après. S’était déjà perdu et fut retrouvé après 30 heures de recherches à l’époque où son père était instituteur à Hémévillers ».
– Le 10 décembre 1885, il est signalé que la campagne est retardée de huit jours, après un accident à la pompe.
– Le 25 janvier 1886, deux citernes de la purgerie remplies de mélasse en cristallisation s’enflamment (1195 HL pour 70 000 francs). L’assurance refuse de couvrir les dégâts car le réchauffement est produit par la gargouille de l’un des générateurs longeant les citernes. Bachoux assigne la compagnie d’assurances des fabriques de sucre en référé. L’expertise étant défavorable, Bachoux stoppe la procédure et fait reconstruire les purgeries pour 26 000 francs. En juillet 1886, suite à une expertise, il faut reconstruire les purgeries et procéder à l’épuration des eaux.
– En 1888, on construit de nouveaux hangars, pour abriter de nouveaux amplis. Cette année-là, on a perdu 1000 sacs en raison de l’échauffement du deuxième jet.
– En janvier 1889, un incendie s’est produit à la base du four à chaux (dégâts mal remboursés car l’usine était assurée à une valeur inférieure). On doit aussi réparer la distillerie (citernes à mélasse et achat d’un four Poiron). Les générateurs se révèlent insuffisants (150 kg de charbon consommés pour une tonne de sucre au lieu de 110 à 125).
– En 1890, on refait un nouveau magasin à sucre (contenant 1 500 sacs comme l’ancien) au-dessus de la purgerie, ce qui en assainit le plafond.
– Septembre 1899 : un ouragan enlève le toit du hangar à coke-pierres qui venait d’être construit et en novembre, un éboulement se produit dans l’usine même, par effondrement d’un puits de 2,30 mètres de diamètre, qu’on comble avec plusieurs tombereaux de terre et un étançonnage. Il faudra explorer l’état du sous-sol avant la campagne.
– Le 12 avril 1902, la bouverie est détruite par un incendie. 25 boeufs et 4 chevaux y périssent.
– Le 29 avril 1926 au soir, un incendie ravage l’usine. Une partie des bâtiments de l’aile droite, le laboratoire, les magasins voisins et la toiture sont détruits. Personnel et voisins ont limité la progression du feu. Les travaux de réparation seront terminés en octobre.
– Outre les dégâts dus à la guerre, un autre incendie de cause inconnue ravage la « sécherie » de Moyvillers un soir de juin 1941. L’usine de produits mélassés est concernée, mais pas l’atelier de triage des semences ni les magasins.
– En juillet 1947, Moyvillers s’embrase à nouveau. On fait fabriquer la paille mélassée par un confrère et l’usine est reconstruite en un an.
– En 1952, on signale l’incendie d’un bâtiment de la ferme de Francières et en juillet 1959, survient un éboulement dans le sous-sol de la sucrerie, nécessitant d’importants travaux de consolidation.
Aucun autre incident grave n’est signalé dans les registres jusqu’à la fermeture de 1969.
Question de Dina GARZONI, ancienne institutrice à l’école de la sucrerie :
« On m’a posé une colle : sous quelle marque était commercialisé le sucre fabriqué à Francières ? Est-ce qu’il reste des emballages de ce sucre avec la mention du lieu de sa fabrication, Francières ? »
Réponse de Michel VAROQUEAUX, historien de l’Association :
La SDF n’a jamais fait de sucre en morceaux ni emballé (à part les gros sacs d’emballage du sucre cristallisé).
Les quelques papiers de morceaux de sucre que nous avons, sont une invention et un cadeau des Glycophiles.
Il est difficile de vous répondre. Nous n’avons pas les dossiers commerciaux de la SDF.
Donc, elle ne faisait que vendre du sucre cristallisé en sacs. Ils partaient par chemin de fer, par camions pour Paris, par péniches de Compiègne, surtout pour l’exportation vers la Belgique et la Hollande.
Pour la France, il semble que, de 1896 à 1904, ce sucre était acheté par le grossiste ou raffineur Faure. Ensuite Lebaudy.
De 1946 à 1955, c’est à la raffinerie François, rue Ricquet à Paris (bassin de la Villette) que le sucre partait.
Acheteurs et vendeurs étaient liés par un système de » Tickets de 100 tonnes » jusque 1950.
François ne raffinait pas et de plus le sucre de Francières n’avait pas besoin d’être raffiné, car très blanc.
François en faisait des sucres spéciaux, semoule, glace, morceaux et livrait le reste en sacs pour les épiciers, de gros transports maritimes pour exportation.
Après 1955, la fin des « tickets » et la vente de François à la SIAS ( Sté industrielle et agricole de la Somme) puis Sucre Union, il semble que ce soit là qu’allait notre sucre cristallisé.
Maintenant, ce que ces grossistes, commerciaux ou raffineurs, en faisaient, on ne peut en connaitre le détail : sucre cristallisé pour les épiciers, transformation sur place en sucres spéciaux, comme dit précédemment, vente aux confiseurs, industries chimiques etc, c’est tout le circuit du sucre! Le sucre enveloppé ne date que de 1950, plus tard ce sucre a été mis en sacs de 50 Kgs pour l’exportation.
Donc pour répondre aux questions, SDF ne livrait que du sucre cristallisé, vendu tel quel à des grossistes et une partie directement en exportation à l’étranger. La suite, c’est l’utilisation du sucre dans tous les domaines.
Vie sociale, paternalisme et relations salariés-patronat à la Sucrerie de Francières
Lorsqu’on évoque l’histoire de la sucrerie de Francières, l’occasion est donnée de parler du système social qui a longtemps dominé, « le paternalisme » , mis en place par un « patronat chrétien ».
Les témoignages des très anciens évoquent « le bon temps » mais peut-être n’est-ce que le souvenir de leurs années de jeunesse.
Cette période n’est valable que jusqu’à la guerre de 1939.
On ne sait rien sur la vie locale avant la période Benoit.
Sous Druelle et les plus anciens, on ne peut s’imaginer la vie dans une industrie que par des études généralistes sur le monde ouvrier et celui de la campagne.
Selon M. Besse, il y aurait eu une école en 1876, mais elle a dû être éphémère ou n’a pas existé.
Sinon les enfants et les habitants devaient par tout temps, gagner le village à 3 km.
Nous savons aussi qu’il existait une auberge en face de la sucrerie, sans doute pré-existante à celle-ci.
Qu’entend-on par « paternalisme » ?
De ce temps, le syndicalisme et les lois sociales n’existaient pas ou peu.
Chaque industrie vivait en circuit fermé. Partout en France, le patronat veillait à la subsistance et à la fixation de son personnel.
Que ce soient les mines, les aciéries etc., on construisait autour de l’usine maisons ouvrières, écoles, hôpitaux ou dispensaires.
On veillait à la vie collective : cantines, fêtes, équipes sportives.
Le capitalisme n’était pas encore celui de nos jours. C’était en général la même famille qui était propriétaire de l’activité. Ce n’était pas encore « les fonds de pension » qui déplacent leurs placements au gré de la rentabilité ou de la spéculation du moment.
On ne délocalisait pas les productions.
Même si l’on avait besoin d’un apport de capitaux pour une modernisation et un accroissement de production inéluctables, les actionnaires pouvaient renoncer une année voire plusieurs années au versement d’intérêts. On l’a vu plusieurs fois dans l’histoire de la SDF, même si les investisseurs faisaient partie des banquiers établis.
Les mentalités étaient bien différentes. On n’a jamais vu à Francières un propriétaire ou un directeur partir avec un parachute doré. Les Crespel-Delisse, Bachoux et autres sont partis en état de faillite personnelle, mais la sucrerie a continué à fonctionner.
La spécificité de Francières (et sans doute d’autres établissements en métropole), était la notion chrétienne du devoir du patron.
Même si le logement patronal regroupant l’ensemble de la famille était de « bon aloi », même si le personnel domestique était nombreux, la vie y était relativement simple au milieu de l’usine et de son personnel. Rappelons l’anecdote de l’ouvrier demandant à M. Benoît une augmentation de salaire et qui s’est vu répondre :
« Votre femme porte des bas de soie, la mienne porte des bas de coton ».
C’était pour ces patrons une responsabilité et un sentiment de devoir accompli, un peu comme le système de la « gens » romaine. Dans celle-ci, la famille patronale englobait les serviteurs, les affranchis, les esclaves. Et il fallait leur faciliter la vie et veiller à leurs besoins essentiels.
Rappelons aussi qu’avant-guerre, la majorité de la population était pratiquante de la religion catholique.
Consciemment ou non, la direction en retirait un avantage. Fixation du personnel, renouvellement assuré par ses enfants, connaissance profonde permettant des progressions de carrière interne.
N’oublions pas aussi que les postes à la sucrerie étaient en ces temps rudes, recherchés. Même si la vie y était dure en durée de travail et en pénibilité des tâches, elle restait meilleure en dureté et en salaires, que celle des ouvriers des mines, des aciéries et des ouvriers agricoles.
Tout le monde y trouvait son compte.
Logement, jardin potager, distributions gratuites diverses (sucre, blé, charbon, lait etc.). Trousseaux aux naissances et même cercueil au décès.
Sans parler de l’école, de la chapelle, des fêtes collective locales laïques (fête annuelle, choule) ou religieuses. Activités théâtrales, cinéma, sorties à Paris ou en pèlerinage, matchs de foot et course cycliste…Même une unité de pompiers pouvant intervenir au dehors.
Tout était organisé, nous l’avons déjà dit, y compris la promotion interne et l’avenir professionnel des enfants.
En cas de maladie, de naissance, le « patron-protecteur » emmenait les patients à l’hôpital ou véhiculait le médecin
Cette tradition de père en fils s’est en fait arrêtée à la dernière guerre. Assistanat dans tous les domaines et organisations sociales vont être bouleversés.
Les premiers mouvements ouvriers de la période 1936-1937 et les premières modifications des règles du travail ont peu bouleversé les relations à Francières.
Les syndicats en général, y compris Francières, n’étaient pas encore « internes » et ne pouvaient agir que de l’extérieur par des mouvements de masse souvent réprimés d’une façon brutale voire sanglante par les forces de l’ordre et l’armée.
À la S. D. F. il y eu peu de troubles. C’est en fait la règle des 3×8 qui a entraîné des rouspétences, une partie du personnel préférant travailler 12 heures et donc gagner plus. Il y a eu quelques démissions.
Une première tentative de création de syndicat par Clément Ruffin, chef maçon, a été repoussée par M. Benoît. Ruffin a été licencié pour un motif inconnu pour être réintégré plus tard.
Une convention collective a été signée par M. Benoît avec Saint-Leu, Tricot, Saint-Just et Bresles. Mais il ne l’a pas appliquée à Francières alors qu’il était président de la Chambre Syndicale des Sucriers.
Comme toujours, une partie du personnel hésitait entre la sécurité du travail, les avantages du paternalisme, la peur de l’aventure et d’autre part celle de la quête des augmentations de salaires, de la liberté ou de l’autonomie, de la reconnaissance du travail, des promesses de bonheur accompagnées de grèves.
M. Besse a écrit qu’en réaction aux mouvements ouvriers, se sont opposés les « Croix de Feu ».
(Croix de feu ou Parti Social Français, il était formé d’anciens combattants nationalistes dirigés à ce moment par le colonel de La Roque et comptait 400 000 adhérents. Ce mouvement restait légaliste et s’était opposé au putsch de 1934 et à la prise de pouvoir par l’armée.)
Mme Benoit dans ses souvenirs dit avoir assisté à la réunion des Croix de Feu de Compiègne.
Et, sans doute à l’initiative de M. Benoît, un meeting eut lieu à la Sucrerie. Il s’est tenu dans la cour derrière la distillerie 1880. Les orateurs ont harangué les ouvriers du haut d’une passerelle mais sans résultats probants ( Jacques Beaufils).
La « mentalité » du personnel et des habitants du hameau n’a pas été altérée.
Survint la guerre, les restrictions (qui ont perduré jusqu’en 1951), les prisonniers et le S. T. O., la libération et l’épuration, les désastres du territoire et la longue période de reconstruction.
Mais aussi les tentatives de prise en main du parti communiste à l’issue de la Résistance, les grandes grèves de 1948 réprimés par l’armée, la difficile réintégration des prisonniers…
La rupture de l’équilibre social précédent est nette.
Après 1945, on attribue dans la mémoire à la seule famille dirigeante, les apports concernant les conditions de travail, les retraites, les colonies de vacances etc.
Mais en fait, toute une série de lois a été votée dans cette période, avantages que la direction (parfois en renaclant ), et le Conseil d’administration étaient obligés d’accepter.
Le syndicalisme ouvrier avec en plus de sa cellule, les Délégués du personnel et les Comités d’entreprise étaient apparus dans l’usine.
Patronat et syndicat s’en attribuent l’initiative. Pour les avantages non fixés par la loi, disons qu’ils relevaient d’un commun accord…
Rappelons des anecdotes oubliées, retrouvées dans les souvenirs intimes de Mme Benoît.
-lors de la démilitarisation des FFI, la gendarmerie a laissé à M. Benoît une mitraillette « pour le cas où…)
-M. Benoit dit à son épouse « ce que je n’admets pas, c’est que mes ouvriers ne me saluent plus ».
-Mme Benoît décide de supprimer un certain nombre de distributions gratuites, ou alors avec tickets « après tout ce qu’on a fait pour eux ».
En même temps, dans les comptes rendus des CA., M. Benoit dit en décembre 1944 que le personnel continue à l’aider de tout son courage et de tout son dévouement, et l’AG. d’avril 1946 renouvelle ses louanges à l’esprit du personnel.
-Parallèlement, le curé du village et de la sucrerie, l’abbé Le Pévédic, dans les années 50, refuse la première communion à la fille d’André Bocquet , membre du Comité d’Entreprise ainsi qu’a la fille d’un autre. Le prétexte étant qu’il refusait l’entrée à l’église à la fille d’un communiste. Bocquet ayant beau affirmer qu’il était socialiste et non communiste, il a fallu que ce soit Mme Benoît qui se fâche et les deux fillettes ont pu participer à la cérémonie… Mais en entrant les dernières dans l’église en queue de peloton !
Il a refusé également à une de ces célébrations le fils de Robert Boesch (qui nous livrera ses souvenirs ensuite), cette fois prétextant que cet enfant était au lycée professionnel de Creil et n’avait pas suivi les cours de catéchisme à Francières. Ce fut le curé Ronvel, successeur de Le Pevedic, qui le « rattrapa ».
En février 1945, M. Benoît, un peu contraint et forcé, accepte la création d’un syndicat (qui sera au début la CGT d’origine, effectivement d’obédience très communiste), le responsable étant Raymond Bouliong, chef de cour puis Robert Boesch, électricien.
Est également créé un Comité d’entreprise formé de représentants élus parmi les membres du syndicat et les Délégués du Personnel ;
Un syndicat de cadres est également créé (CGC.) Mais seul Jean Beaufils, contremaître, (remplacé ensuite par René Allayeys, contre-maître des ateliers agricoles) y adhère.
Sans que l’on sache pourquoi chimiste, ingénieur de fabrication etc. n’y participent pas et nous n’en avons aucune trace. (Jacques Beaufils nous a dit que même ce syndicat CGC était mal vu par Mr Benoit, d’où la crainte d’y adhérer. En particulier le chimiste dont c’était le premier poste et qui n’a pas osé paraître faire obstacle à la direction).
Une fois également la direction a essayé de lancer un syndicat dissident, tentative qui a échoué et dont aucun ancien ne se rappelle. Ce serait vers 1967 ( ?) que cette liste a été constituée pour les élections au Comité d’Entreprise.
Sans valeur légale, elle n’a pas été maintenue.
L’après-guerre fut marquée par trois grandes périodes : celle de M. Benoît qui composa avec réticence, (mais, dit Jacques Beaufils, cela fonctionnait bien), la période de Jean Valette, « âge d’or de l’entente cordiale », enfin celle de Mme Benoît, âgée et fatiguée, reprenant le flambeau en 1951 mais vivant toujours sa désillusion sincère de 1945 et de son monde écroulé.
En 1951 donc, toute sa descendance masculine avait tragiquement disparue ainsi que les plus capables au Conseil d’Administration.
Témoignage de Germain Pauluzzi
Pour illustrer l’enthousiasme et l’esprit des syndicalistes à cette période, nous avons le témoignage d’un fidèle adhérent, Germain Pauluzzi, de la sucrerie de Roye.
Une évolution semblable s’est produite dans toutes les sucreries à ce moment.
Pauluzzi, comme beaucoup, a commencé à travailler à 14 ans à l’arrachage des betteraves, puis à 16 ans avec un CAP d’ajusteur mécanicien, à la râperie d’Arvillers puis à la sucrerie Lebaudy de Roye ou il devint plus tard responsable électricien.
Parallèlement, il s’engagea dès les débuts au syndicat CFTC, et assurant des responsabilités locales, régionales puis nationales et enfin internationales à la Commission de Bruxelles, honoré de la Légion d’honneur.
Il nous a écrit récemment :
« Engagé très tôt dans le mouvement ouvrier pour sortir d’une condition ouvrière imprimée par un ordre pratiquement établi… Un mouvement social pour conquérir l’émancipation ».
Il évoque ensuite le fait que c’est l’apport d’ouvriers immigrés qui a formé un mouvement social pour conquérir cette émancipation. Hypothèse qui ne semble guère concerner Francières.
Enfin il rappelle :
« C’est en 1955 que nous avons arraché la Convention collective de l’industrie du sucre, une avancée sociale considérable, les droits des salariés inscrits dans un contrat collectif. Accord entre les employeurs et les syndicats FO.et CFTC. La CGT, majoritaire dans la profession, a refusé cet accord pour raisons idéologiques estimant que c’était de la compromission inadmissible dans la période de la lutte des classes ».
Et il termine :
« Aujourd’hui, une Fabrique, c’est une richesse intellectuelle produite par les salariés à tous les niveaux. Ne jamais oublier d’où on vient ».
Principaux syndicats
CONFEDERATION FRANCAISE DE L’ENCADREMENT DE LA CONFEDERATION GENERALE DES CADRES ( CGC)
Fondée en 1944
CONFERATION GENERALE DU TRAVAIL ( CGT)
Considérée comme courroie de transmission du Parti Communiste
Fondée en 1895
En 1920, exclut le CSR, révolutionnaire devenant CGT-U
En 1936, réunification
Dissoute en 1940, reconstituée à la Libération
En décembre 1947, sa fraction « Amis de Force Ouvrière », démissionne et crée CGT-FO
FORCE OUVRIERE ( FO)
Donc née en 1947, devenant ensuite FO, scission due aux grèves insurrectionnelles décidées par la fraction communiste de la CGT
Léon Jouhaux, ancien président de la CGT et démissionnaire, devient président de FO
CONFEDERATION FRANCAISE DES TRAVAILLEURS CHRETIENS ( CFTC)
Fondée en 1919 .Dissoute provisoirement durant la guerre
CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL ( CFDT)
Issue de la CFTC en 1964, en abandonnant la référence chrétienne
Principales mesures sociales depuis 1884
( Parfois remises en cause ultérieurement)
1884 : liberté de création des syndicats
1891 : horaires de travail pour les femmes et les enfants : 11 heures. Pour les hommes : 12 heures
1896 : loi sur les accidents de travail
1900 : durée du travail quotidien ramenée à 10 heures
1906 : fixation du repos hebdomadaire et emploi garanti pour les femmes en couches
1936 : congés payés de deux semaines et semaines de 40 heures
1945 : création des Comités d’établissement et critère de représentativité des organisations syndicales
1946 : droits de grève ; rétablissement de la semaine des 40 heures
création des Délégués du personnel, médecine du travail, loi sur les accidents de travail
1950 : loi sur les Conventions collectives et création du SMIG
1956 : congés payés de trois semaines
Fonds National de Sécurité ( aide à la vieillesse)
1958 : préavis de licenciement de un mois
assurances-chômages ( UNEDIC et ASSEDIC)
1961 : généralisation des retraites des non cadres ( ARRCO)
1967 : création de l’ANPE
1968 : congés payés de quatre semaines
liberté de constitution de sections syndicales dans les entreprises
« Je suis entré au service électrique de le S.A. Sucrerie-Distillerie de Francières le premier septembre 1937. ( Robert Boesch habitait Estrées-St-Denis puis de 1946 à 1969, à Francières. Malgré la déclaration par Mr Benoit qu’il travaillait dans les fermes, il est en 1943 contraint de partir en Allemagne au titre du STO. Il rentre en France en juin 1945).
Je ne peux reprendre mon travail à la S.D.F. que le 20 04 1946 après avoir été soigné énergiquement pour une pleurésie.
Ayant appris l’existence d’un syndicat C.G.T., j’y adhère au mois d’août 1945. Dans le courant de l’année 1946, le personnel m’élit au bureau de la section syndicale. Le bureau syndical CGT était dirigé par Raymond Bouliong, André Bocquet (trésorier) et Jean Covet. L’action syndicale n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui.
Ceux qui en assumaient la responsabilité prenaient des risques considérables et ils le savaient. Leur dévouement, les sacrifices qu’ils consentaient avaient une dimension qu’on imagine mal actuellement. Les responsables syndicaux C.G.T. (Raymond Bouliong) ont eu de grandes difficultés, ils n’ont pu obtenir la mise en place des délégués du personnel et l’application de l’ordonnance du février 1945 instituant les comités d’entreprise.
Monsieur Benoit estimait que seule la Direction était habilitée à régler les problèmes de la Société et du personnel.
C’est au décès de Monsieur Benoit, en 1947, que le climat change avec l’arrivée de Monsieur Valette, directeur général. L’état d’esprit est plus ouvert. Et c’est à cette époque qu’apparaissent les symptômes des luttes, des divergences insurmontables à l’intérieur de la Confédération CGT.
Monsieur Diderich, secrétaire national de la CGT est venu à Francières pour faire valoir les positions majoritaires. De nombreuses questions lui furent posées. Raymond Bouliong dit que l’examen de ce problème du maintien avec les majoritaires se fera ultérieurement en assemblée générale de la section syndicale de Francières.
Pour ma part, je lui ai fait réponse que je défendrai une position nette contre la subordination de la CGT aux partis politiques.
Nous apprenons le 19 12 1947, la démission de Léon Jouhaux, premier secrétaire général de la confédération CGT.( qui deviendra ensuite Président de la CGT-FO). Raymond Bouliong convoque les adhérents en assemblée générale le 22 12 1947.
Je déclare que je ne peux concevoir le syndicalisme sans le respect de la Liberté et de la Dignité de la personne humaine. C’est à l’unanimité que la dissolution de la section syndicale CGT a été votée. »
« Début janvier 1948, Raymond Bouliong, André Bocquet et moi-même nous nous rendons à Paris pour y renconter André Charlot et Raymond Lerai. André Charlot deviendra le secrétaire général de la fédération CGT-F.O. – Alimentation (commerces et industries).
Les statuts du syndicat CGT Force Ouvrière de la Sucrerie-Distillerie de Francières seront déposés début février 1948. 76% du personnel apporte son adhésion.
Le bureau est ainsi constitué : Robert Boesch, Raymond Bouliong, André Bocquet, Jean Covet, Claude Piat. Le premier congrès confédéral de la CGT-F.O. s’est tenu les 12 et 13 avril 1948.
(En 2002, lors d’une journée « Portes Ouvertes », deux membres de FO. nous ont dit : « C’est ici qu’est née Force Ouvriére ».En fait sur les neuf sucreries que va citer Mr Boesch, les trois premières ont été Francières, Abbeville et Buçy).
A la fin de ce mois, André Charlot convoque les syndicats de l’industrie sucrière en conférence nationale pour établir les revendications à présenter au S.N.F.S.
Y ont participé les sucreries de Coulommiers (77) Bray sur Seine (77) Bucy le Long (02) Abbeville (80) Nassandres (27) Etrépagny (27) Fisme (51) Thumeries (59) Francières (60).
Elu membre du bureau fédéral, je reçois délégation pour représenter la fédération dans les commissions paritaires pour l’industrie sucrière au siège du SNFS. Mandat que je conserverai jusqu’en 1982.
(La première Convention Collective de l’Industrie Sucrière a été signée en 1950 et Robert Boesch a été un des co-signataires).
J’informe Monsieur Valette des responsabilités qui me sont confiées et qui nécessiteront des demandes d’absences. Monsieur Valette me félicite et exprime le souhait qu’un climat de confiance s’instaure pour le développement de la compréhension, avec pour seul objectif l’amélioration des conditions de travail et de la situation sociale, l’avenir technologique de la SDF ne pouvant se réaliser que dans la concertation et la négociation.
C’est ainsi qu’il nous fait part de ses perspectives dans la nécessité d’une extension de la sucrerie pour la maintenir à un bon niveau technique sur le plan régional. Projet ambitieux. C’est donc ainsi que certains ouvriers iront chez des fournisseurs « Maguin », « Fives-Lille », « Applevage » et à la sucrerie de Bucy le Long (02). Moi-même, je me suis rendu à la « Télémécanique » et à « Repele CEM » pour améliorer les connaissances professionnelles des nouvelles technicités. »
Des élections pour les Délégués du Personnel et les membres du Comité d’Entreprise sont organisées.
Composition du comité d’entreprise :
Boesch, Bouliong, Bocquet, Covet, Bailly, pour la CGT-F.O. et Beaufils Jean pour la CGC. Celui-ci sera remplacé par Monsieur Allayeys René à son décès. Les négociations pour l’application de la convention collective et de la législation sociale peuvent alors commencer.
(Lors de la première élection des Délégués du Personnel , en avril 1945, Monsieur Benoit leur avait dit :
« Je n’avais pas besoin d’un trait d’union entre mes ouvriers et moi ».
Premiers résultats : classification des postes de travail pour la campagne et inter campagne, grille des salaires.
Démarches auprès de l’AGRR (Association Générale Retraites par Répartition). Accord conclu avec la direction. Cela a permis à des ouvriers âgés de 65 ans et plus de partir en retraite, et de percevoir la part complémentaire à la Caisse Nationale Assurance Vieillesse, sans avoir cotisé à l’AGRR.
Ils ne pouvaient croire que cela était possible.
( Francières à cette époque a été la première et la seule sucrerie à bénéficier de la retraite complémentaire).
Au sein des comités d’entreprise sont instituées les œuvres sociales.
A/ Pour Noël, il est versé sur une livret de Caisse d’Epargne, une petite somme à chaque enfant de moins de quatorze ans. Il est décidé d’en faire l’extension au personnel des fermes. Monsieur Thierry est chargé de collecter les livrets dans les fermes.
B/ Création d’une colonie de vacances. La première est installée à Rosporden, la deuxième à Quiberon et ensuite à Chapois dans le Jura.
( Jean-Pierre Besse a écrit que l’on pouvait re-voyager à partir de 1947 ;
Selon lui, il y eut d’abord un voyage au Tréport puis à Fort-Mahon en 1947 et 1948.
Dans la brochure, il décrit le transport avec un car et un camion GMC servant ensuite aux excursions.
L’encadrement était assuré par l’instituteur de la commune et l’institutrice de la sucrerie avec leur éventuel conjoint.- il y a eu d’ailleurs un mariage ensuite !- plus trois monitrices, le cuisinier et sa femme. Le séjour durait un mois.
Robert Boesch rappelle qu’ il y a eu Rosporden en 1949 avec les sœurs d’Estrées-saint-Denis, Quiberon en 1950 et en 1951. De 1952 à 1969, ce fut Chapois, dans le cadre du Comité d’Entreprise.
Raymond Bouliong s’occupait de la préparation et du nettoyage du matériel de cuisine, des dortoirs et de l’installation des tentes pour les garçons).
C’est en 1950 que la colonie est devenue officielle au sein des œuvres sociales du Comité d’entreprise, affiliée à l’UFOVAL ( Union Fédérale des Œuvres e Vacances Laïques).
Etaient fixés le fonctionnement administratif, le recrutement du personnel et des moniteurs.
Avec une subvention de la Mairie, tous les enfants de la commune étaient admis au même titre que ceux du personnel de la sucrerie et de ses fermes.
Après le décès de Monsieur Valette en 1951, il est décidé de modifier les statuts et d’inscrire le titre suivant : « Œuvres sociales du comité d’entreprise de la S.A. Sucrerie-Distillerie de Francières-Oise. Colonie de vacances Jean Valette ». J’ai reçu délégation pour en assurer le fonctionnement administratif.
C/ Des démarches sont entreprises auprès de la CCMO à Beauvais pour obtenir une section mutualiste dans le cadre des Œuvres Sociales du Comité d’entreprise. C’est ainsi que le remboursement du tiers payant est mis en place.
( Il y eut un jour une seule grève, qui n’a duré qu’une demi-heure – contrairement aux autres sucreries où elle a été totale-.
Pour J.P.Besse, c’était pour obtenir la retraite à 60 ans .
Pour Robert Boesch, c’était un mot d’ordre général de FO. pour relever le salaire horaire des postes de fabrication et les unifier dans toutes les sucreries).
L’avenir de la sucrerie se trouve remis en cause. Alors que Monsieur Valette avait admis que le syndicat avait un rôle utile à jouer dans l’entreprise, Madame Benoit revient au paternalisme ; elle institue un système où les tâches ne sont plus définies que par elle.
Monsieur Valette avait fait l’installation de casiers dans l’atelier d’électricité pour y stocker les pièces de rechanges (balais pour alternateurs, bobines pour les différents contacteurs, etc.) ; Madame Benoit a fait rentrer ces pièces au magasin. En cas de besoin, il fallait demander au magasinier – qui par manque de connaissance dans ce domaine nous faisait entrer.
La nuit, c’était la personne désignée qui nous amenait dans le magasin. Si nous sortions plusieurs modèles, il fallait les remette le lendemain matin en justifiant l’utilisation. Que de temps perdu dans le dépannage !
( Toujours selon JP.Besse, avec ses deux filles, un véritable matriarcat, elle contrôlait tout, voulait être informée de tout.
Les tâches et responsabilités des cadres intermédiaires n’étaient plus définies, la directrice tranchant et réglant tous les problèmes quotidiens.
Un système d’audiences a été installé, audiences demandées hiérarchiquement par le comptable ou bien par convocation directe, se faisant souvent par un appel par haut-parleur).
Les réunions du comité d’entreprise étaient fixées à 11 H 30 et ne pouvaient excéder quarante minutes. Pour faire appliquer certains textes conventionnels, l’intervention de Monsieur Brebec, inspecteur du travail, était nécessaire.
Toutefois, pendant cette période, nous avons obtenu la construction de douches (pour les salariés faisant des travaux insalubres et sales), un réfectoire avec un chauffe gamelles, des lavabos, l’extension du garage vélo pour les mobylettes – vélo solex.
C’est à partir de 1967 que des bruits coururent dans les environs sur l’avenir de la sucrerie, mais selon la direction, ce n’étaient que des rumeurs malsaines. Toutes nos remarques et questions étaient rejetées sans explication.
C’est en mai 1968, que Madame Valette réunit tout le personnel pour faire comprendre que c’était bientôt la fin. Mais sans déclarer que la campagne 1968/1969 serait la dernière.
Les premières lettres de licenciement arrivèrent à la fin du mois de mai 69.
Pour Robert Boesch, ce fut le 31 décembre 1969 avec un préavis de trois mois.
« En réponse à votre question sur les autres tentatives syndicales à Francières :
Il n’y a jamais eu d’autre tentative syndicale à Francières, simplement le dépôt d’une liste « autonome » élaborée par la direction lors de l’élection des membres du comité d’entreprise. Cette liste n’ayant pas de structure légale, elle n’a pas pu participer à l’élection et a été retirée.
Concernant ma carrière :
– Syndiqué à la section CGT sucrerie de Francières d’août 1945 à décembre 1947.
– Syndiqué à la CGT F.O. de janvier 1948 à 1968 ensuite de 1969 à 1982 à Souppes sur Loing, puis Fédération F.O. Retraités dès 1983.
– Membre du bureau fédéral de l’alimentation CGT F.O. mai 19458 – reçoit une délégation pour participer aux commissions paritaires siégeant au S.N.F.S. jusqu’en 1982.
– Membre de la commission administrative de l’Union départementale CGT F.O. à Creil.
– Administrateur élu (CGT F.O.) à la Caisse d’allocations familiales de l’Oise à Beauvais de 1955 à 1969.
– Membre du comité de gestion de l’URSSAF Beauvais, de 1963 à 1969 par délégation du C.A. de la Caisse d’allocations familiales.
– A participé de 1980 à 1983 à la Commission Européenne pour la politique communautaire dans le domaine du sucre.
( R.B. a donc siégé à Bruxelles comme Germain Pauluzzi qu’il y a rencontré ainsi qu’au SNFS).
(Il a donc été à Francières secrétaire de la section locale FO, secrétaire du Comité d’entreprise, secrétaire des Œuvres Sociale, colonies de vacances et mutuelle).
Après mon licenciement le 31 12 1969, j’ai été embauché comme adjoint technicien chef du service électrique de la S.A. Sucrerie-Distillerie de Souppes sur Loing (77). Prise de fonction le premier avril 1970. Puis responsable du service électrique en janvier 1971 au départ en retraite du titulaire.
Dès mon arrivée, j’ai adhéré au syndicat CGT-F.O. (minoritaire) et j’ai continué à participer aux réunions des commissions paritaires avec le S.N.F.S.
Administrateur de l’AGRR, bureau de Melun, membre de la commission d’action sociale de 1973 à 1982.
En 1972, le syndicat CGT-F.O. devient majoritaire. Je deviens alors délégué syndical F.O. Cela me permet de participer aux réunions du comité d’entreprise.
Je quitte la sucrerie de Souppes sur Loing pour cause de départ en retraite le 31 12 1982. J’ai conservé de bons rapports avec le président directeur général et suis invité tous les ans pour la remise des médailles du travail.
Une médaille de bronze m’a été remise par le S.N.F.S. « pour quarante-trois campagnes sucrières à Francières et à Souppes-sur-Loing ».
Je n’ai pas conservé de documents, les archives du syndicat ont été remises comme prévu statutairement à l’Union Départementale des Syndicats CGT-F.O. de l’Oise.
Bureaux situés à Creil. »
Copie d’une dédicace sur la première page d’un livre « Présence de penseurs du mouvement ouvrier », offert par André Bergeron.
« A Robert Boesch en le remerciant pour toute l’action qu’il a mené depuis la création de Force Ouvrière pour que notre syndicalisme libre se développe, notamment dans les professions sucrières. Je sais que je peux encore compter sur ton appui pendant ta préretraite.
Bien amicalement, André Bergeron. »
En conclusion, il nous a écrit le 17 février 2009 :
« Le temps passé dans les camps de l’Allemagne nazie m’a appris la fraternité, la solidarité.
C’est certainement cela qui a motivé mon militantisme pour la justice sociale, le respect de la Dignité humaine et aussi la Liberté ».