La sucrerie et les environs

Carte récapitulative

Les marqueurs en forme de carré montrent un bâtiment encore visible aujourd’hui.
Les marqueurs en forme d’épingle montrent un bâtiment disparu aujourd’hui.
Il est possible de se déplacer et de zoomer ou dézoomer la carte.

Fermes et terres


Pierre Desjardins à la ferme de Fresnel, 1942. Collection J. Flamant

L’intérêt des sucreries était d’exploiter – en propriété ou en location- le maximum de terres pour s’assurer un contingent de betteraves de qualité certaine et d’éviter les âpres négociations avec les planteurs individuels. Ces sucreries avaient également besoin de bêtes de trait et de la possibilité de les entretenir.
Lors de sa fondation en 1829, la sucrerie de Francières bénéficiait des terres de Thirial, celles de sa ferme de Francières et celles de son fermage de la ferme de Fresnel.

Sous M. DRUELLE, la recherche de nouveaux producteurs (et la fidélisation des fournisseurs habituels face à la surenchère des autres sucreries) s’accompagne d’acquisition de nouvelles terres ou de fermages. S’il fallait 750 hectares assurés en 1893, il en fallait déjà 800 en 1898.
Un contrat fut signé en 1893 à Emeville près de Villers-Cotterets. La même année, le fermage de la ferme de Fresnel est renouvelé, et en 1904 sera définitivement cédé à M. DRUELLE. De 1900 à 1930 (achat définitif), les CHEVALIER donneront aussi en location l’ancienne ferme THIRIAL. En 1896, la société reprend la ferme de Bretonsacq et ses 80 hectares ; en 1897 56 hectares sont loués à Rouvillers. Quatre-vingt-cinq hectares de la ferme de Granvillers-aux-Bois sont loués à Charles Pélissier et Hyacinthe Chevalier, liés à la sucrerie, qui les reprend directement en 1902.

En 1859, lors de la mise en vente après la faillite de Crespel-Dellisse, le notaire comptabilise environ 3 ha de terres en propriété dans les environs immédiats et 64 ha en fermage.
Entre 1858 et 1860, Crespel ou ses les liquidateurs ont cédé les baux ou les propriétés (on ne sait) des fermes de Montmartin, Warnavillers et de l’Ermitage à Rémy. (NB : celle-ci contenait une briquetterie qui a sûrement servi aux agrandissements de Crespel).
Sous Bachoux, il ne semble y avoir eu que des locations de terres diverses et la poursuite du bail de la ferme de Fresnel.
Lors de la constitution de la SDF en 1884, aucune ferme n’est mentionnée. Outre le bail de Fresnel, il existe de multiples baux de terres et sans doute de la moitié Sud de la ferme Thirial (séparée en deux par ses descendants).
En 1885, la SDF possède 12 ha de terres et en loue une centaine « espérant arriver aux 350 ha nécessaires à la production ».


CP – Editeur Bourson – La ferme Chevalier à Francières. Collection Jean Pierre Bricout.

En 1887, elle en possède 121 et en a 316 sous contrat.
En 1893, les surfaces exploitées atteignent 750 ha dont 137 à Fresnel.
On va jusqu’à louer des terres à Eméville (près de Villers-Cotteret), désormais accessibles par chemins de fer.
En 1895, on reprend la ferme de Grandvillers, 240 ha et celle de Bretonsacq de 80 ha ainsi qu’une partie de la ferme de Warnavillers.
En 1898, les surfaces emblavées en betteraves s’élèvent à 812 ha dont 193 en propriété.
En 1900-1903, on ne cite plus que deux fermes, Fresnel et Bretonsacq.
En 1905, la ferme Monnet de Francières passe un accord avec la SDF.
En 1907, c’est l’acquisition de terres de la ferme du Pré, entre Moyenneville et Neufvy. Deux ans plus tard, on reprend les baux de la ferme voisine Guerin, de 125 ha.
Dans ce domaine, Gaston BENOIT fit aussi oeuvre de continuité par rapport à son prédécesseur.
La ferme du Pré à Neufvy sur Aronde (183 hectares) est louée en 1907 pour un fermage de 76 francs l’hectare. L’année suivante, les fermes de la société fournissent plus de 27 % des betteraves traitées par la fabrique.
Ces fermes, il faut le noter, obtiennent des rendements très largement supérieurs à ceux des cultivateurs liés par contrat à la sucrerie : 33 860 kilogrammes à l’hectare à Fresnel et 29 500 à Bretonsacq et à la ferme du Pré contre 23 530 ailleurs.
1914 : le Conseil d’Administration cite quatre fermes : Fresnel, Bretonsacq, Grandvillers, Le Pré.

En 1919, on loue les fermes Carpentier et Loreau à Moyvillers et on agrandit les baux à Neufvy.
Les fermes citées en 1920 sont Fresnel, Grandvillers, le Pré, Moyvillers .
L’année suivante, ce sera la reprise de 305 ha à Beaupuits-Grandvillers et de 175 ha « près de Francières ».

En 1921, le CA estime que, « quelles qu’en soient la forme, il faut reprendre toutes les exploitations dans un rayon de 5 km. Et lors de l’AG, il énumère  quatre fermes :
– Fresnel avec ses bâtiments, Grandvillers avec ses bâtiments, Le Pré sans immeubles, Moyvillers avec ses bâtiments, Bretonsacq avec un bâtiment et Beaupuit sans immeubles.
Le total des surfaces est de 1488 ha « et on cesse d’être à la discrétion des cultivateurs fournisseurs ».

En 1923, après quelques petites acquisitions, la SDF acquiert le corps de ferme du Pré, qui devient la ferme préférée de Mme Benoît.
En 1925 46 ha sont rachetés à Grandvillers aux hospices de Clermont et on ne cite plus que cinq fermes, Bretonsacq ayant disparu.
En 1926, l’usine rachète la ferme de Cressonsacq et ses 72 ha. Elle atteint en possession directe, 415 ha (plus les corps de ferme de Cressonsacq et du Pré, et 52 logements ouvriers) .
L’année suivante, la ferme Monnet de Francières et ses 120 ha sont pris à bail.

En 1929, 45 ha de Mlle Pracquin sont repris dans la région.
1933 : six fermes sont énumérées, Fresnel, Grandvillers, le Pré, Moyvillers,
Beaupuits et la moitié de la ferme de Francières.
En 1935, la sucrerie rachète 27 ha à Warnavillers .
De 1936 à la fin de la dernière guerre, ne figurent dans les rapports que des opérations de détail ou d’échanges.
En 1942, la ferme du Bout du Bois à Neufvy (ancien prieuré fortifié et qui sera revendue avant la fermeture) est achetée et on énonce 2000 ha cultivés dont 600 en propriété.

Plus grand-chose ne se passera jusqu’à la fermeture de 1969, dont 35 ha achetés en 1952, 13 en 1959 et des petites surfaces cédées pour l’élargissement de la N 31 ou la construction de l’autoroute. Les bâtiments de la ferme de Grandvillers et ceux de la ferme Farge sont revendus en 1960 et 1966.

Le personnel des fermes en juillet 1937. Collection Jean Pierre Bricout.

Les bascules de la sucrerie

Francières n’a jamais eu de râperie annexe, bien que certains aient cru en voir une à Moyvillers.

Par contre, comme toutes ses consoeurs, elle a disposé de plusieurs bascules aux alentours. Ces bascules  permettaient de négocier des contrats avec des planteurs éloignés en limitant leurs distances de livraison et évitaient un encombrement de charrois à l’usine.

Elles varient selon les périodes, planteurs s’adressant à une autre usine ou une autre usine venant prospecter sur notre territoire.

Il est difficile d’en dresser une liste exacte et surtout de définir leur période de fonctionnement d’après les simples allusions découvertes dans les comptes rendus du Conseil d’administration de la SDF à partir de 1884.

Certaines devaient dater d’avant la constitution de la SDF.

Angivillers (près de Saint-Just) : créée en 1897 car on proposait un échange à la sucrerie de Saint-Just avec la bascule de Montiers.
Beaupuits (commune de Grandvillers aux Bois) : signalée en 1897, rappelée en 1901 mais peut-être s’agit-il d’une nouvelle.
Bois de Coupelle (Grandvillers aux Bois) : la distillerie fermant en 1912, le CA envisage de reprendre sa bascule « en bon état ».
Eloges (commune de Bailleul le Soc) : existe en 1890.
Emeville ( près de Villers-Cotteret) : existe en 1896 depuis ?, sur les terres de M.Parmentier.
Eraine (Bailleul le Soc) : mentionnée en 1896. En 1901, le fermier traitant avec Froyères, la bascule lui est vendue. On propose de la reprendre en 1911.
Estrées saint Denis : la décision de la créer date de décembre 1898. Elle fonctionne en 1899 et en 1921 on parle de « l’ancienne bascule »
Gannes (au Nord de Saint-Just) : signalée en 1897.
Gournay sur Aronde : envisagée en 1909 lors de la négociation de 60 ha avec les cultivateurs locaux. On ne sait si elle a été construite.
Lachelle : décidée en décembre 1898 Laneuvilleroy : fonctionne en 1897. On en rachète une d’occasion en 1901 pour compenser la perte de celle d’Eraine.
Montiers (à l’ouest de Gournay) : en 1898 on en propose l’échange avec celle de Angivillers à la sucrerie de St Just.
Moyenneville (même secteur) : Signalée en 1897. On en reparle en 1901. La même ?
Remy : en cours de travaux en septembre 1898. Fonctionne en 1899.
Rouvillers : on en parle en 1890 mais elle semble dater d’avant 1885. En 1896 on refuse d’installer une deuxième bascule « qui profiterait aux autres » et en 1905 on refuse de la céder à la distillerie Dumont en échange d’1 ha au Bois de Fresnel.
Tricot (entre Ressons et Montdidier) : signalée en 1897.
Wacquemoulin : en cours de discussion en décembre 1898 avec Mme Pracquin, planteur. Elle fonctionne en 1899 et en 1913, on en modifie l’emplacement.

 

EXISTENCES CERTAINES :
-En 1897 : Tricot, Moyenneville, Laneuvilleroy, Beaupuits, Eraine, Rouvillers, Gannes, Emeville.
-En 1899 : sont citées : Remy, Estrées, Wacquemoulin
-En 1901 : on donne trois bascules nouvelles, Beaupuits, Laneuvilleroy et Moyenneville en mentionnant qu’il existe six autres bascules.

 

Par ailleurs, en 1897, le bruit courant que Saint Just allait fermer, on a envisagé de créer une bascule en gare de Ravenel ou en gare d’Angivillers.

Il ne subsiste plus qu’une seule des bascules ayant fonctionné au large de la sucrerie.

Elle est situé à Eraine, à 5 kilomètres à vol d’oiseau au sud-ouest de la sucrerie.
Placée à l’entrée du village, à droite en venant d’Estrées Saint Denis sur la D 152.

C’est un bâtiment bâti en briques et recouvert de tuiles mécaniques, avec son guichet.
La plate forme a disparu.

Les puits de la sucrerie

Le Bureau de Recherches Géologiques et Minières d’Amiens a demandé le 31 octobre 1968, à la sucrerie de Francières, de lui préciser l’emplacement d’un puits creusé en 1883 par l’entreprise Lippmann et d’une profondeur de 111,88 mètres. Cet organisme joint à sa demande le plan de sondage et la nature des couches rencontrées, la méthode de forage étant « havage ».
Mme Benoît répondit le six novembre 1968 qu’elle ne pouvait préciser cet emplacement.
Nos archives ne débutant qu’en 1884 à la création de la SDF, nous ne pouvons savoir s’il s’est agi à cette époque d’un nouveau puits ou du re-creusement d’un précédent.
Vers 2005, à côté de la cheminée actuelle, deux mètres à son nord, a été découvert un puits briqueté dont les dimensions au niveau du sol sont de 1,10m de diamètre.
Nous supposons qu’il s’agit du puits d’origine de 1829, vu son éloignement de la halle d’origine.
Nos recherches dans les archives des conseils d’administration de la SDF nous ont permis de relever entre 1894 et 1934 les problèmes posés par cette alimentation en eau, nécessaire au fonctionnement de l’usine.
Mais également que le sous-sol de la sucrerie est truffé de galeries souterraines datant de l’époque où l’on extrayait de la craie locale pour le four à chaux de cette époque lointaine. Ces galeries serviront ensuite à l’écoulement en profondeur de l’eau des bassins de décantation, pour la ramener aux puits.
Il faut sans doute séparer les puits pour extraire l’eau de ceux dits « puisards » pour son écoulement.

3 octobre 1894 : on signale un manque d’eau dans les puits. L’entrepreneur qui a effectué les forages précédents en propose un supplémentaire pour 500 F et a briqueté les galeries.

10 octobre 1894 : l’eau ne manque plus, le forage est prometteur.

7 novembre 1894 : ont fait deux forages de plus pour 300 F.

30 janvier 1895 : il faut 6000 hl d’eau par jour. Les eaux de lavage ne retournent plus aux galeries souterraines. Il faut créer de nouveaux bassins de décantation ( 3500 F)

25 novembre 1896 : les bassins de décantation sont envahis par la boue, il faut en créer un troisième, voire un quatrième.

1897 : on a vidangé les bassins, au total 12 000 mètres cubes de terre vidés et étalés dans les terres voisines, transportés par des wagons Decauville tirés par des chevaux.
L’écoulement des eaux en trop-plein se faisait par des galeries creusées dans la craie pour extraction pour le four à chaux. Ces galeries ont été bouchées par les boues. On ne peut plus descendre dans les puits (gaz en plus).
L’autre puits du trop-plein du réfrigérant est hors service. On demande des devis pour créer deux autres puits (bassins de décantation et réfrigérant), gagnant si possible les galeries souterraines.

21 décembre 1900 : on décide le creusement du puits vers Fresnel.

Rien jusque 1933

8 novembre 1933 : sécheresse. Baisse des eaux à Fresnel. On réactive celui de la cour.

11 juillet 1934 : Re-sécheresse. Le forage continue (?), il est poussé à 90 mètres, on abandonne.

10 août 1934 : décision de créer un puits à Estrées, (après avoir « emprunté » au puits de la gare).

19 décembre 1934 : les deux puits sont à sec ( cour et Fresnel ?) mais celui d’Estrées fait face.

Rien ensuite jusque 1969 et pas trouvé celui de Gournay

PS : L’acte d’achat de Crespel en 1833 mentionne dans l’intérieur du domaine, un puits et un puisard.

Celui de Gournay sert toujours à l’irrigation des terres de l’ancienne sucrerie. Le poste est implanté au bord de la rivière et de la D 82 à l’entrée du village en venant d’Estrées, à droite et en contrebas de la route.
Le bâtiment est en maçonnerie enduite, couvert de tuiles mécaniques, sans transformateur.
Une canalisation souterraine le long de la nationale 17 amenait l’eau par le nord de la sucrerie jusqu’à son centre. Il a été créé en 1951. Ensuite, une dérivation amenait l’eau vers le bassin du réfrigérant.

Celui de Fresnel est implanté le long du C.V. n° 5 Francières-Rouvillers entre Fresnel et le village.
Le bâtiment en briques abrite le système de pompage et est accolé à son transformateur électrique d’alimentation. Il jouxte celui qui alimentait naguère le village.

Quant à celui d’Estrées Saint Denis, il est situé sur la D1017, côté ouest, un peu en retrait entre les installations de la DDT et le passage à niveau, sortie nord d’Estrées.
Lui aussi est un bâtiment en briques enduites, adossé à son transformateur électrique et date de 1934. Son fronton porte toujours le sigle « SDF ».

La sècherie de Moyvillers

Ensemble de bâtiments en briques et de silos situés à Moyvillers, le long de la route D 155 et proche de l’actuel centre commercial. La sècherie était jadis desservie par la voie ferrée Estrées / Crépy.
Achetée pour 280 000 francs par la Sucrerie de Francières en janvier 1926, c’était auparavant une usine de sélection de blés et de battage. Elle fut transformée en fabrique d’aliments mélassés pour animaux et doit son nom aux opérations de sèchage des fourrages et pulpes humides.
Elle fut mise en sommeil durant la crise agricole de 1934 et victime par deux fois d’incendies (les 30 juin 1941 et 19 juillet 1947). On y stockait également les sacs de sucre en attendant leur vente.
Elle sert désormais d’unité de stockage pour la Société Agricole de Francières.

L'aérodrome d'Estrées-Saint-Denis Remy

L'atterrissage à Estrées (1935)

Pourquoi parler ici de ce petit aérodrome perdu dans la campagne ?

Sa naissance doit beaucoup à un industriel local, patron de la sucrerie de Francières : Gaston Benoit qui accepte de céder en 1933, un terrain proche de Compiègne où le jeune Aéro-Club de l’Oise (en abrégé: l’Aé.C.O.) projetait de s’installer, en souvenir d’un certain George Guynemer, natif de la région.
Passionné lui-même de cette activité, Gaston Benoit et son a longtemps choyé son propre avion, ainsi que celui de son petit gendre Bricout, à l’abri dans un hangar proche de la sucrerie.
L’Aéro-Club de l’Oise avait essuyé quelques refus des autorités locales car ses activités correspondaient peu à celles pratiquées habituellement à Compiègne (golf, équitation, …).

C’est donc avec beaucoup de joie que l’aéro-club accepta le soutien moral du Colonel Sutterlin, en charge de la place militaire de Compiègne, et surtout le soutien financier de Gaston Benoit.
Aujourd’hui installé à Margny-les-Compiègne, l’Aéro-Club de l’Oise, rebaptisé depuis « club aéronautique de Compiègne-Margny », oeuvre à la promotion des ailes populaires, depuis 1947.

Les habitants du coin, ou Plaine d’Estrées, verront cette évocation historique avec un oeil amusé, après l’épisode du fameux projet avorté du « grand aéroport de Rouvillers » au début des années 2000, censé seconder celui de Roissy, bientôt arrivé à saturation et qui aurait entraîné inéluctablement la destruction du site de la Sucrerie…

C’est le 28 janvier 1931 qu’est fondée l’Aéro-Club de l’Oise. Le siège social se situe 23, place de l’Hôtel-de-Ville à Compiègne. Les membres fondateurs sont au nombre de 43. Ce sont, en grande partie, des hommes jeunes ou dans la force de l’âge, habitant Compiègne et ses environs, tous férus d’aviation. Certains sont aussi des passionnées des sports mécaniques comme les frères Dusanter. D’autres sont garagistes comme Gaston Génart et Pierre Coquerel à Compiègne ou encore G. Bouzinart qui tient le «Grand garage Saint Christophe » à Noyon.
On retrouve également un certain nombre d’hommes exerçant une profession libérale (architecte, expert- comptable, assureur, avoué…), des commerçants ou encore des industriels. Parmi les fondateurs, aucun agriculteur, aucun ouvrier et… aucune femme. Les passionnés de l’aviation se recrutent dans un milieu masculin et citadin, jouissant de bons revenus, ce qui n’a rien d’étonnant, la pratique de l’aéronautique étant onéreuse et hors de portée des bourses modestes des classes populaires de la société d’alors.

Néanmoins, leur projet est tout d’abord accueilli avec amusement et scepticisme par la bourgeoisie locale de cette ville provinciale qu’est alors Compiègne. Les élites y pratiquent davantage l’équitation, l’escrime et le golf. Le soutien moral de personnalités comme le colonel Sutterlin et le soutien matériel d’un industriel comme Gaston Benoit vont apporter une caution déterminante à une activité encore toute nouvelle.

La pratique de l’aviation n’est pourtant pas tout à fait une nouveauté pour les Compiègnois. Avant la guerre de 1914-1918, ils s’étaient déplacés en masse pour applaudir le premier meeting aérien organisé par «La Société d’aviation de Compiègne » sur le terrain sommairement aménagé près de la ferme de Corbeaulieu.
On y voyait Védrines, Blériot, Hanriot ou encore Legagneux évoluer sur des appareils dont ils étaient, pour certains, à la fois les concepteurs et les pilotes d’essais. Une carte postale immortalisait Legagneux posant avant de prendre « son vol pour doubler le premier l’Hôtel-de-Ville de Compiègne. Temps héroïques des «Faucheurs de marguerites » !
C’est là qu’un jeune homme, en 1913, emmené en moto par un camarade, volait clandestinement pour la première fois grâce à la complicité d’un pilote qui n’avait pas encore son brevet. Ce jeune homme, c’était Georges Guynemer, qui aura l’extraordinaire et brève destinée que l’on sait.
Le souvenir de ces Pionniers de l’aviation, les exploits de Guynemer et la présence de nombreux terrains d’aviation militaire dans la région pendant ce conflit ne sont évidemment pas étrangers à cet engouement.

Meeting de Corbeaulieu (1932)
Barre, Cl Sutterlin, Capt St Etienne, x Prache devant le Potez 36 de Beauvais

Qui plus est, l’aviation est à la mode : en 1927, Charles Lindbergh réussit le premier vol transatlantique New York-Paris sans escale en 33 heures 30 minutes sur le «Spirit of Saint Louis». Trois ans plus tard, Costes et Bellonte parcourent la même distance en sens inverse, affrontant les vents dominants, sur un Bréguet 19, le fameux «Point d’Interrogation».
Cependant, en 1930, le nombre d’avions appartenant à des propriétaires privés n’est que d’une trentaine d’unités. L’État voulant développer «l’esprit aviateur» va apporter une aide financière, non négligeable, puisque tout achat d’appareil privé se voit subventionner à hauteur de 40 %. Effet immédiat, les ventes augmentent.
De 1930 à 1932, 480 avions bénéficient de cette prime. Cette politique de l’État favorable à l’aviation civile va entraîner un développement sans précédent des aéro­clubs.
A l’exemple de l’automobile, l’aviation suscite l’enthousiasme non seulement de ceux, en petit nombre, qui peuvent s’offrir des cours de pilotage (voire un avion) mais aussi de l’ensemble de la population. Comme l’automobile, l’aviation est un sport spectaculaire et, à l’époque, un sport extrême.
Bien que les appareils aient bénéficiés de nouveaux perfectionnements techniques (la Grande Guerre a obligé les ingénieurs à l’innovation) les accidents ne sont pas rares. Une des ambitions des associations de type aéro-club sera d’ailleurs de montrer que la pratique de l’aviation est sans danger.

Meeting de Corbeaulieu (1932)
Un Morane 230

Quels sont les buts de l’Aéro-Club de l’Oise (en abrégé: l’Aé.C.O.)?
Tout d’abord rassembler les personnes qui veulent pratiquer l’aviation dans la région. Les adhérents versent une cotisation et donnent bénévolement de leur temps.
Créer une école de pilotage pour breveter des élèves.
Permettre aux pilotes déjà brevetés (soit militaires, soit civils) de reprendre l’entraînement pour ne pas perdre la main.
Offrir en toute sécurité des baptêmes de l’air aux personnes de la région qui le désirent, quasiment à domicile (les appareils et les terrains sont encore rarissimes).
Ouvrir un cours d’élèves mécaniciens permettant d’effectuer son service militaire dans l’aviation ou encore se préparer à ce métier.

Globalement, l’Aé.C.O., plutôt constituée de personnes «à l’aise» financièrement, se propose de populariser l’aviation sous toutes ses formes dans le Compiègnois.

« A Estrées Saint Denis, notre hangar »

La société créée, il restait le plus difficile : trouver un terrain assez vaste, susceptible d’accueillir les évolutions des appareils, situé à proximité immédiate de Compiègne. Des démarches auprès des différents services officiels ou administratifs (Autorité militaire, Aéronautique marchande, Chambres de commerce ou Municipalités) n’aboutissent pas.
Les uns et les autres soupçonnent les aviateurs de «vouloir épater la galerie» et d’utiliser cotisations et subventions «pour payer la casse».

Une personne va leur faire confiance: Gaston Benoit, actionnaire et directeur de la sucrerie de Francières. Il va mettre à la disposition de la jeune société un terrain près d’Estrées-Saint-Denis.
Certes, le champ d’aviation est à une douzaine de kilomètres de la Ville impériale, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes de logistique, mais les conditions de la location sont très avantageuses pour la jeune association.

Le terrain trouvé, une astucieuse campagne de presse auprès des journaux locaux et l’activation des réseaux de relations des membres fondateurs va faire vite connaître les activités de l’Aéro-Club de l’Oise qui, avec l’Aéro-Club du Beauvaisis, sont les seules associations de ce type dans le département.

Situé le long de la départementale 36, sur le territoire de Remy, non loin de Francières et tout près d’Estrées-Saint-Denis, il est inauguré le jeudi 25 mai 1933, jour de l’Ascension, un bon présage pour les aviateurs. Ce jour-là, en dépit d’un vent violent, 24 baptêmes de l’air sont donnés par le chef pilote Robert Guérin et Louis Berger (pilote de l’Aéro-Club de l’Oise.) Louis Prache et Bernard Dusanter venant de Beauvais sur leur Potez atterrissent sur le terrain de l’Aéro-Club. Le week-end suivant, 32 baptêmes de l’air sont encore donnés. Ces initiatives remportent un succès populaire. On peut lire ces lignes dans la presse locale: « Tous les passagers de ces jours derniers, depuis cette respectable dame de 86 ans jusqu’au bambin de 4 ans qui ne voulait plus descendre, promirent de revenir bientôt goûter les joies de l’air ».
Bientôt, deux hangars abritent deux avions: un biplace Potez 36 (moteur Renault 95 CV) appartenant à l’Aéro-Club de l’Oise et un triplace Potez 43 (100 CV) propriété de Louis Dusanter. Les activités de l’Aéro-Club ne se limitent pas aux baptêmes et promenades et, conformément aux buts que se sont donnés les membres fondateurs, un cours de mécaniciens est organisé. Grâce à cette formation, les jeunes participants peuvent envisager d’accomplir leur service militaire dans l’aviation .

Un cours d’élèves pilotes permet de faire passer à plusieurs candidats le brevet de pilote de tourisme. Parmi les premiers élèves reçus: Louis Dusanter qui réussit l’épreuve sur le terrain d’Estrées ainsi que son frère Bernard et Jean Huguet qui obtiennent leur brevet sur le terrain de Beauvais.

Le lieu dit du Val-St-Denis le long de la D36 de Estrées (à gauche) à Rémy (à droite) et de la ligne de chemin de fer Amiens-Compiègne. Francières et la sucrerie se trouvant en haut et à gauche de l’image. Il faut noter aussi qu’il a existé un terrain d’aviation éphémère au Nord-Ouest de la gare d’Estrées-Saint-Denis et dont il ne reste aujourd’hui aucun vestige (coin bas-gauche de l’image).
Capture et traitement d’image par Jacques Calcine, membre 2A

Le terrain du meeting de Francières (1933)

Au matin du 27 août 1933, le temps est superbe. Une belle journée s’annonce. Dès neuf heures, les premiers avions se posent sur le terrain de Francières : Potez 36 et Potez 43 de l’Aéro-Club, Caudron 60 de Rhins, Raab piloté par Rouland, Caudron « Luciole » piloté par le Baron de Foucaucourt accompagné de son épouse en provenance d’Amiens, Potez 36 de Marest (et Madame) venant de Meaux, Hanriot 14 de Bouzinard de Noyon, Potez 36 de l’ Aéro-Club du Beauvaisis… A onze heures trente, les avions survolent en vol de groupe dans un ensemble parfait Compiègne et ses environs puis retournent se poser sur le terrain de Francières.
Le terrain du Val-St-Denis s’avérant trop exigu, la manifestation se déroule à proximité de la Sucrerie, dont M. Benoit avait fait aménager les alentours.

A midi, en présence de M. Benoit, de M. Valette, du colonel Sutterlin, président des membres du comité, de MM. Guérin, Berger et Dusanter et d’une nombreuse assemblée, le curé de Francières baptise l’avion Potez 36 immatriculé F.A.J.U.P. et surnommé le « Rouge gorge » (en rapport avec la couleur de l’appareil !). Mme Benoit, marraine de l’avion, brise la traditionnelle bouteille de Champagne sur l’hélice, sous les applaudissements de la foule.
Le colonel Sutterlin et Louis Dusanter remercient M. Benoit pour sa participation « au développement de l’aviation dans la région et son dévouement et sa générosité envers l’ Aéro-Club de l’Oise ». Après ces discours, par petits groupes, les invités se rendent sous un hangar de la sucrerie pour pique-niquer.

Quand le meeting commence, cinq mille personnes sont présentes. De nombreuses personnalités parmi lesquelles, M. Rousselot, sous préfet de Compiègne, le marquis de l’Aigle, député, M. Belloy, maire d’Estrées ainsi que plusieurs maires et élus de la région sont aussi venus assister à cette importante manifestation aérienne.
Le service d’ordre est assuré par la gendarmerie sous les ordres du capitaine de la brigade de Clermont.
M. Thiret, chef du secteur de la coopérative électrique, a fait installer gracieusement un haut-parleur pour permettre au speaker de présenter les aviateurs et de commenter leurs exploits.

En plus des acrobaties annoncées au programme et dont certaines mettent les nerfs des spectateurs à rudes épreuves, une vingtaine d’avions de tourisme se livre à une course relais avec arrivée sur le terrain de Francières. Ils reçoivent pour récompense trente-cinq litres de carburant offerts gracieusement par les organisateurs.

Est-ce à ce meeting de Francières que le « Pou-du-Ciel » de l’inventeur Henri Mignet fait une première apparition? Nous ne pouvons l’affirmer. Cependant, une lettre de décembre 1934 incline à répondre par l’affirmative.

Au terme de la journée, on ne déplore aucun accident, ni même incident. Les organisateurs se retrouvent le soir pour fêter le succès de cette journée. Joyeuses libations si l’on en croit un journal qui rapporte que, « au moment de la séparation, en raison de la chaleur sans doute, l’air n’était plus très porteur et les pilotes donnaient exagérément du palonnier ! »

Le 10 septembre, revenus de leurs  » émotions », les membres actifs de l’Aéro-Club organisent une nouvelle manifestation aérienne à Lassigny.
Les deux appareils de l’association s’envolent d’Estrées pour se poser sur un terrain provisoire, emporter quelques dizaines de personnes dans les airs avant de s’en retourner vers leur terrain d’origine, avant que la nuit ne tombe. En effet, ni les appareils, ni le terrain ne sont équipés pour des vols de nuit.

Mr Benoit de Francières et le Colonel Sutterlin font baptiser le Potez du Club par Mme Benoit (x L Toison) (1933)

Sur le même sujet et ci-dessous, voici donc la retranscription d’un article paru dans un journal local (?) semble-t’il en Août 1933.
L’original étant d’une qualité insuffisante, pour être reproduit dans cette page, nous avons préféré en faire une recopie « manuelle ».
Cet article est paru dans « l’histoire de Francières-Le terrain d’aviation », par Michel Varoqueaux et Joël Hiquebrant, membres de l’ASSF.

Il se déroulera le 27 Août prochain sur un vaste terrain face à la Sucrerie de Francières ; on escompte que plus de vingt-cinq avions y prendront part
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Nous apprenons avec grand plaisir que l’ « Aéro-Club de l’Oise », dont l’activité ne se dément pas un instant, organise un grand meeting d’aviation qui se déroulera le Dimanche 27 août prochain à Francières et dont l’intérêt sportif sera plus grand encore que celui de l’an dernier, à la ferme de Corbeaulieu.
L’ « Aéro-Club de l’Oise » voulant donner à cette journée des ailes un développement de grande envergure, il était manifeste que son champ d’aviation de Rémy serait par trop exigü pour les évolutions de quelques vingt-cinq appareils, qui participeront à cette manifestation aérienne. Les dirigeants du Club, ayant soumis le cas à M. Gaston Benoit, le sportif et serviable directeur de la Sucrerie de Francières s’est empressé de mettre à leur disposition, pour cette journée exceptionnelle, l’immense terrain situé devant la sucrerie et qui sera à même, à la fin du mois, de recevoir tous les avions que l’on voudra…
Les grandes lignes du programme de cette journée que l’on veut — et qui sera– merveilleuse, sont arrêtées. Il nous est agréable d’en donner la primeur à nos lecteurs.
Et tout d’abord sera baptisé officiellement, ce jour là, l’avion du Club, le « Potez 30 », que toute la région de Compiègne a vu évoluer dans les airs, piloté par Robert Guérin ou par Louis Berger. C’est Madame Benoit qui sera marraine.
Le matin aura lieu un banquet qui sera servi à la Sucrerie même et qui réunira, autour de M. et Mme Benoit, les dirigeants de l’Aéro-Club de l’Oise, ses plus précieux soutiens, les pilotes etc.
L’après-midi verra se dérouler une compétition aérienne dont l’intérêt sportif et spectaculaire sera grand. Il s’agit d’une course-relai pour avions de tourisme, avec arrivée sur le terrain de la fête, à laquelle participeront une vingtaine d’aviateurs, qui recevront, gratuitement, trente-cinq litres d’essence.
Il y aura aussi une démonstration du bac de sécurité du « Potez 36 » faite par l’as Michel Doré, qui fera en outre une exhibition sensationnelle.
Enfin se disputera une épreuve-circuit de « marche » –mais oui, de marche– à laquelle prendront part les membres d’un club compiégnois, avec arrivée sur le champs d’aviation.
Inutile de dire qu’il y aura, ce jour là,de nombreux baptêmes de l’air à Francières.
Voilà – dans ses grandes lignes, nous le répétons – le programme élaboré pour la journée du 27 août. Il réserve à la foule, qui ne manquera pas d’assister à ce grand meeting, de belles émotions sportives.
Ainsi l’ « Aéro-Club de l’Oise » poursuit, avec succès, son but qui est de faire aimer l’aviation.
Des résultats tangibles ont déjà été enregistrés; Non seulement grâce au « Potez 36 » de 95CV propriété du club, ont eu lieu des centaines de baptêmes de l’air ; non seulement des fervents de l’aviation ont pu effectuer des randonnées aériennes ; mais encore des élèves-pilotes ont été formés … qui deviennent pilotes à leur tour.
Le cas le plus typique est celui de M. Louis Dusanter, élève de M. Robert Guérin, qui a passé avec une rapidité et une maestria étonnantes et avec plein de succès, son brevet de pilote de tourisme, sous le contrôle de M. le capitaine de Saint-Etienne, du 1er Régiments d’Aérostation, délégué officiel de l’A.C. de France, assisté de M. le sous-lieutenant Chaussavert et de M. Lavoignet.
M. Dusanter ayant fait l’acquisition d’un superbe « Potez 43 », triplace de 100CV, il fait édifier actuellement un hangar à côté de celui du « Potez 36″ sur le terrain de Rémy. Un troisième avion et très probablement un quatrième, prendront bientôt place au terrain de l' »Aéro-Club de l’Oise ».
Ajoutons, enfin, que les cours de mécaniciens sont donnés au sein du Club par trois compétences – M. Ancellin, chef mécanicien ; MM. Coquerel et Girard, mécaniciens – et sont suivis par de nombreux adeptes, dont plusieurs vont accomplir leur service militaire dans l’aviation.
Et dire qu’on a combattu l’ « Aéro-Club de l’Oise ! » mais s’il n’existait pas, il faudrait le créer !!

Le public à Estrées (1935)

Grâce au bulletin mensuel de l’aéroclub de l’Oise « L’Aé.C.O. », rédigé par Huguet et Dusanter, qui commence à paraître en 1934, nous pouvons nous faire une idée assez précise des activités de l’association.

Lors de l’assemblée générale de janvier 1934, le compte-rendu moral du secrétaire général Alex Berger rappelle que «Partis de zéro, nous avons terrain, hangar, avion, auquel sont venus s’ajouter un autre hangar et un Potez 43 à M. Louis Dusanter» Un cours technique suivi par 15 élèves a été ouvert. Les deux Potez ont parcouru plus de 17 000 kilomètres, emmenant 535 passagers. Soutenu par les collectivités, commerçants et particuliers, les finances sont saines. Les activités de l’Aé.C.O. vont pouvoir se développer.

De mars à septembre 1934, des journées de «propagande aérienne» sont organisées à Tricot (22 avril), Nampcel (14 juin), Verberie (8 juillet) terrain prêté par M. Péters, Frestoy-Vaux (15 juillet), Ressons-sur-Matz (18 août), Choisy-au-Bac (9 septembre), Croutoy, Lacroix-Saint-Ouen et Crépy-en-Valois.
Au cours de ces journées, environ 1 500 personnes prennent le baptême de l’air pilotés par Guérin, Louis Dusanter, Huguet auxquels se joignent parfois Prache et Serre de Beauvais.

Les appareils sont entretenus bénévolement par Angelin, Génart, Coquerel renforcés par Lécrivain et Gougelet. D’autres membres aident à la gestion de l’association et à l’organisation des meetings aériens.

Sur le terrain d’Estrées, cinq appareils constituent l’effectif de l’Aé.C.O. Le Potez 36, premier appareil du club, a été vendu. Un triplace Potez 58 a été acquis, un Hanriot 32 donné par la Fédération pour l’entraînement et un Potez 60 sera bientôt acheté pour remplacer le Potez 36.
A ces trois appareils, s’ajoutent les Potez 43 et 38 propriétés de Louis et Bernard Dusanter.
L’Aéro-Club dispense des cours gratuits de mécanique. La municipalité Compiègnoises met à disposition de l’association la salle de l’ancienne poste.
Trente jeunes écoutent les cours théoriques de Pierre Coquerel. Ils se rendent ensuite à un cours pratique dispensé dans un hangar qui se trouve route de Soissons, près du cimetière du Nord. où se trouve un avion Bréguet. Là, Pierre Coquerel est secondé par Gaston Génart et Léon Ancelin, deux autres membres fondateurs de l’Aé.C.O.

Un cours d’élève télégraphiste est également organisé par le sergent De Conninck de la 52ème demi-brigade d’aérostation. Pour les motiver, les élèves peuvent voler régulièrement dans l’avion de Louis Dusanter. Cette école est agrée par le Ministère.

Une conférence faite au Nouveau-Théâtre à Compiègne sur la Croisière Vuillemin remporte un grand succès puisque l’on doit refuser des places.

Un nouvel organisme le G.A.O. (Groupement des Aéro-Clubs) présidé par J. Loisel (Président de la Chambre de Commerce) regroupe les deux aéro-clubs de l’Oise, celui de Beauvais et celui de Compiègne. Cette structure, créée à l’instigation du préfet de l’Oise Bussières, lui-même aviateur, ne durera pas et les deux sociétés reprendront leur autonomie.

René Fonck (1935)

En 1935, le Comité lance un appel pour « baptiser les appareils du club» aux lecteurs de son bulletin. Il rappelle «que le 58 est bleu et gris, l’Hanriot gris vert comme les avions militaires, et le futur [Potez] 60, rouge. Toute proposition de fétiche à peindre sur le fuselage sera également reçue avec plaisir ».
Néanmoins, il n’est pas question de trouver n’importe quel nom de baptême, les aviateurs sont superstitieux : «Espérons qu’il s’agira de noms porte-bonheur, car nous avions un ami qui le soir de la réception de son appareil, s’appliquait à peindre artistiquement le nom charmant de «Pile ou Face». Le lendemain, il se mettait sur le dos en atterrissant. Avouez que le nom est quelquefois prédestiné. »

Louis Dusanter qui désire passer son brevet de moniteur multiplie les déplacements sur son Potez 43, pour totaliser les 200 heures nécessaires à l’obtention de son diplôme.
Voici quelques extraits de son carnet de bord: «Le 21/1/35, Saint-Quentin, en compagnie de Guérin, voyage délicieux sur la campagne couverte de neige».

Aux beaux jours (ou supposés tels) les journées de propagande reprennent.
Les appareils de l’ Aéroclub se rendent à La Neuville-Roy (le 28 mars), à Tricot (23 juin), à Attichy (7 juillet), à Pierrefonds (28 juillet) et à Pontpoint (4 août) les trois appareils atterrissent sur un terrain appartenant à M. Mastelinck, une centaine de baptêmes sont donnés.
Le 18 août, à Choisy-la-Victoire, le Potez 58 (pilote Guérin) rejoint le Caudron Phalène (pilote Prache). Le maire de la commune, M. Dupressoir assure la réussite de cette journée en fournissant le terrain, en le faisant aménager et invite les aviateurs et leur entourage à sa table. Au cours de l’après-midi, 80 baptêmes de l’air sont donnés.
Margny-­les-Compiègne (8 septembre), Guiscard (22 septembre) et Crépy-en-Valois (6 octobre) clôturent les déplacements de l’année 1935.

Le terrain d’Estrées reçoit la visite d’avions étrangers. Avions qui arrivent parfois par voie… terrestre comme le «Pou-du-Ciel» construit par Coupé et Lasne, remorqué par une voiture pour faire «des lignes droites» sans décoller puisque les ingénieux constructeurs ne possèdent pas (encore) de brevet de pilote.
Le «Pou-du-Ciel» finira par décoller (piloté par une tierce personne), à Verneuil-en-Halatte d’abord, puis une quinzaine plus tard, voler de ses propres ailes jusqu’au terrain d’Estrées. Malheureusement une avarie à l’atterrissage lui fera faire le voyage retour… en remorque.

D’autres appareils plus sérieux font escale à Estrées: visites amicales, étapes vers une destination plus lointaine, pannes ou encore contraints de se poser par la nuit tombante car ces avions de tourisme ne peuvent pas voler la nuit.

Parfois, les membres de l’ Aéro-Club ont le plaisir d’accueillir une figure historique de l’aéronautique en la personne de M. Farman (et Madame) venus visiter la clairière de l’Armistice par pluie et brume. Le 17/2/35, Beauvais, avec Mlle Hénon et Lécrivain, qui goûtent le spectacle d’une mer de nuages vue à 1 500 mètres. Le 24/2/35, le vent violent ne permet qu’une demi-heure de vol sur la région en compagnie de Wilhélem. Le 5/3/35 Méaulte avec Gougelet pour la visite Veritas. Le 12/3/35, Méaulte à Estrées et l’après-midi vol sur Compiègne avec M. Dubé et son beau-frère. Le 13/3/35, essai sur le terrain avec Coquerel. Ce même jour, M. Carpentier, de Roye, vient nous rendre visite sur son Potez 36 et un Potez 25 militaire se pose également sur notre terrain. Le 17/3/35, Saint-Quentin et Méaulte en compagnie de Héra. »

Le 6 mars 1935, le pilote Le tierce vient présenter le nouveau Potez 60. Devant une quarantaine de personnes et les journalistes locaux, il exécute «une démonstration de décollage, de vitesse, de ralenti et d’atterrissage, suivie d’une petite séance d’acrobatie». L’appareil est ensuite essayé en compagnie de Guérin, L. Dusanter et Ancelin.
Le Potez 60 que se propose d’acquérir le club coûte 17000Fr. « C’est un monoplan torpédo à aile haute, biplace en tandem. Sa construction, entièrement en bois, légère, mais solide, a permis, en l’équipant d’un 60 chevaux, trois cylindres en Y, d’obtenir des avantages très appréciables en ce qui concerne le prix d’entretien, de réparations et d’utilisation, grâce à une consommation d’essence réduite (de 15 à 17 litres à l’heure) Sa stabilité est égale à celle des modèles précédents, mais la finesse a été augmentée et permet à cet appareil les performances suivantes : écart de vitesse variant de 60 à 145 km/h; plafond, 3 500 mètres; trajet en ligne droite par vent nul, 700 kilomètres.» Le 23 mai, le chef-pilote Guérin en prend livraison à Méaulte et le ramène en compagnie d’Ancelin. Le voyage s’effectue par très mauvais temps mais l’appareil se comporte bien.

Il est nécessaire d’avoir un terrain sûr et facile d’accès, un terrain aux portes mêmes de la ville. Tous les amis de l’aviation viendront à nous, et ceux de l’extérieur qui viennent en descendant du ciel ne seront plus rebutés par un atterrissage leur donnant l’impression de tomber en plein désert.».
La question de la création d’un aérodrome à proximité de la ville de Compiègne devient cruciale pour le développement, et même la survie, de l’Aé.C.O.

La municipalité de Compiègne semble bien partagée sur la création d’un terrain. En 1935, le projet d’un aérodrome mixte, utilisé par les civils et les militaires avec la participation financière de l’Etat, était évalué à un coût de 535 000 francs, la ville s’engageant à verser une subvention de 250 000 francs; conséquence de la crise économique qui sévit dans le pays, en 1938, l’évaluation est passée à près d’un million.

Pour obtenir son terrain, la ville doit augmenter sa participation, même si elle a reçu l’engagement de l’Aé.C.O. de payer les frais de fonctionnement. Elus partisans (certains sont membres de l’Aé.C.O.) et adversaires vont s’affronter au cours d’une longue discussion à laquelle le journaliste du Progrès de l’Oise, lui-même, avoue ne pas avoir toujours saisi les arguments des uns et des autres.

Le Progrès de l’Oise titre dans son édition du 2 mars 1938 : «La question de l’aérodrome de Compiègne: après un long, parfois confus échange, le conseil municipal par 12 voix contre 8 et 1 abstention décide d’ajourner le projet tant que les ressources manquantes n’auront pas été trouvées en dehors du budget». Une polémique s’ensuit dans la presse.

Il faudra pourtant attendre plus d’une décennie pour que l’aérodrome de Compiègne-­Margny, situé le long de la départementale 935, soit une réalité. Si en décembre 1936, la déclaration d’utilité publique a été publiée, les travaux ne se termineront qu’en 1939. A partir de 1940, l’aérodrome est réaménagé et utilisé par la Luftwaffe, puis en 1944, par l’aviation américaine.

Le pessimisme est de mise lors de l’assemblée générale du 15 janvier 1939. Elle rend, tout d’abord, un hommage au chef pilote Guérin décédé en 1938. Avec lui, disparaît une figure historique de l’Aé.C.O., formateur de tant d’élèves.
Le prix des avions est devenu « inabordable ». Le coût de l’heure de vol prohibitif. L’Aé.C.O. réclame des mesures d’aide de la part du gouvernement comme par exemple un carburant défiscalisé.
Les menaces d’une nouvelle guerre semblent se préciser dont on sait, aujourd’hui le rôle dramatique que tiendra l’aviation. Le vice-président Dubé expose le fonctionnement de «la garde aérienne civile anglaise» qui rassemble des volontaires de 18 à 20 ans désirant s’initier à la pratique de l’aviation.
Ces jeunes peuvent préparer gratuitement le brevet de pilote 1er degré. En contrepartie, ils s’engagent à effectuer leur service militaire dans la RAF (sans obligation d’être navigant). La mise en pratique est assurée par l’intermédiaire des aéro-clubs anglais subventionnés par l’Etat. Ces « pilotes du dimanche» seront le réservoir où puisera la RAF durant le début du prochain conflit et, notamment, pendant la bataille d’Angleterre au second semestre de 1940. Plusieurs meetings aériens ont été organisés dans la région comme les années précédentes.
Subventionnée par l’Etat, la section d’aviation populaire prend de plus en plus le pas sur l’aviation de tourisme: 194 séances d’instruction aérienne totalisant 530 heures de vol ont permis la délivrance de 8 brevets 1er degré et 6 brevets 2éme degré. Au cours de mécanique s’ajoutent des cours de navigation et de radio. Le bureau pour l’année 1939 est toujours présidé par le colonel et vice-présidé par Dubé et Dusanter. Le secrétariat général est assuré par Gaston Génart (aidé de Cadie) Le trésorier général est Adde (aidé de Cordier).

La déclaration de guerre et la mobilisation en septembre 1939 vont stopper les activités de l’Aé.C.O.

Une compagnie de la Royal Air Force (RAF) cantonne à Estrées et entreprend de poursuivre les travaux d’aménagement du terrain de l’Aé.C.O. Très disciplinés et dotés d’un excellent moral, ils montent une garde vigilante. Leur cuisine roulante étonne les Français par son utilité pratique et sa propreté méticuleuse. Devant l’avance des troupes allemandes, ils quittent Estrées le 4 juin 1940. Il semble que le terrain accueillera encore des « avions estafettes».

En 1941, le terrain d’Estrées va connaître une activité clandestine. Dans la nuit du 1er au 2 octobre, un avion Lysander piloté par Whippy Nesbitt-Durfort de la R.A.F. atterrit et repart aussitôt, emportant pour Londres un agent des services secrets polonais, Roman Czerniawski (pseudonyme: Armand).
Cette opération «Pick­up» qui consiste à atterrir et décoller dans un laps de temps très réduit, sur un terrain clandestin en France occupée, est organisée par le Lieutenant Michel (Alexandre de Saint Phalle) du BCRA (Bureau Central de renseignements et d’Action) et par le colonel Vautrin du réseau Volta.
Elle se renouvelle dans la nuit du 7 au 8 novembre: deux passagers s’envolent pour l’Angleterre. (N.B. il est possible que cette deuxième opération ait eu lieu près de Soissons).
D’autres opérations «Pick-up» auront lieu dans la région jusqu’en 1944, mais elles n’utiliseront plus le terrain situé le long de la route départementale 936, probablement pour des raisons de sécurité. (N.B.: quatre opérations ont été organisées sur un terrain appartenant à la Sucrerie en 1943, et des recherches sont en cours à leur sujet.)

Après la guerre, l’ Aé.C.O. ne reprend ses activités qu’après deux ans d’efforts. La totalité du matériel aéronautique a disparu dans la tourmente de la guerre.

Si le terrain mis à disposition par M. Benoit existe encore, le hangar détérioré doit être réparé pour abriter le Stampe et deux planeurs, un C-800 et un Castel-301, prêtés par l’Etat.
Les cours techniques reprennent sous la houlette de Coquerel.

Enfin, les vols sont de nouveau possibles à partir du 25 octobre 1946 sous la conduite de Louis Dusanter et d’un moniteur adjoint. N’ayant pu voler durant les quatre années de l’Occupation allemande, Dusanter s’est réentrainé à l’Aéro-Club de Beauvais.
Ancelin et ses aides veillent toujours sur la mécanique. De nouveaux pilotes (Bancquart, Desseaux, Dumoulin, Santin et Beaufrère) peuvent poursuivre leur entraînement sur le terrain d’Estrées. Pour peu de temps encore.

L’année suivante, l’Aé.C.O. se transporte à Margny sur un terrain proche de la ferme de Corbeaulieu où, le 27 juillet 1947 un meeting d’aviation remporte un grand succès.

Plus proche de Compiègne et plus rapide d’accès, bénéficiant des installations construites par l’armée de l’air américaine, notamment une tour de contrôle, c’est ce terrain qu’occupe encore aujourd’hui l’Aéro-Club de l’Oise.

Avec la disparition du terrain d’Estrées-Saint-Denis/Francières, finissent les années pionnières de l’aviation de tourisme. Durant ces années trente qui se termineront si tragiquement, des hommes (et quelques femmes) ont su promouvoir un nouveau moyen de découvrir le monde.

Aujourd’hui, nous prenons l’avion comme un autobus pour nous rendre dans n’importe quel point de la terre.

Comme il nous semble loin le temps où le baron de Foucaucourt écrivait, revenant de ses tours d’Europe et d’Afrique, en prélude au récit de ses aventures et parlant de son avion de tourisme baptisé Phi-Phi :
«Dans quelques minutes il prendra son essor vers les pays scandinaves et baltes où il mettra le cap sur l’Afrique du Sud, passant en quelques jours d’un froid de 10 degrés à une chaleur de 50 degrés.
il se posera en cent mètres sur des aérodromes parfois exigus; dans l’air libre il parcourra 240 kilomètres en une heure et, s’il le faut, il saura voler neuf heures sans arrêt.
Les roues de Phi-Phi viennent de quitter le sol; l’aventure commence… »

Il y a de cela 90 ans!

« Avant de partir pour le meeting à Francières » (1933)

M. et Mme Bricout, les propriétaires actuels de la SAF, Société Agricole de Francières, apprécieront ce chapitre sur l’aérodrome d’Estrées, car il y a longtemps qu’ils nous réclamaient un article sur le sujet.

Par contre, nous nous élevons ici contre le site www. geocaching.com, car ils ont tout piqué dans « La Revue du Pays d’Estrées », dont nos historiens sont des rédacteurs occasionnels.
Picorer dans les sites des voisins, on le fait tous, plus ou moins, mais en retranscrire l’intégralité sans même citer ses sources, là c’est abusif !
De plus, tous les documents photographiques proviennent de la collection de M. Jacques Dusanter de Remy (60), dont le papa était un des membres fondateurs de l’aéro-club et qui a bien voulu nous les confier.
Il n’a pas réagi défavorablement jusqu’alors, mais il serait en droit…
Le Président de l’association des Deux Montagnes, qui édite la revue qui sert de référence à ce document, nous a confirmé que personne de Geocatching n’avait demandé la moindre autorisation à qui que ce soit…

Il est bien de préciser ici les véritables sources d’informations :

Ce document est issu de l’article paru dans « La Revue du Pays d’Estrées » n° 19 – juillet 2006.
Clichés appartenant à Monsieur Jacques Dusanter (le fils du fondateur de l’Aéro Club de l’Oise).
Rédacteurs Michel Varoqueaux, Président d’honneur de l’ASSF et Joël Hiquebrant, membre administrateur.
Texte original auprès de l’Association des Deux Montagnes.
11, ruelle Champagne. 60680 – Grandfresnoy

Autre source internet consultable :

 

https://www.anciens-aerodromes.com/?p=3886

Pour contacter le club aéronautique de Compiègne-Margny

http://www.accm60.com/historique/

Collection de photos liées à l’aérodrome fournie par Jacques Dusanter (avec commentaires).